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se séparer, voilà pour la voiture ; quant à l’attelage, il était composé de quatre petits chevaux de race à peine retenus par des longes de cordes ; près des chevaux se tenait fièrement un grand drôle accoutré d’un large caleçon de flanelle et d’une chemise sans manches : c’était le souroudjou. En nous voyant, il ôta brusquement son gros bonnet fourré, et une chevelure, vierge du peigne et des ciseaux, couvrit ses épaules. M. Glogovéano eut l’obligeance de me dicter quelques phrases pour me mettre en état de me faire comprendre, le carnet à la main. À peine étais-je installé dans le caroutche, que le souroudjou jeta un second cri et partit à toute bride. À deux lieues environ de Czernetz, la voiture heurta si violemment contre une pierre, que le timon fut brisé. L’infatigable coureur s’arrêta, et lorsque je me demandais ce que j’avais de mieux à faire, je le vis descendre de cheval, prendre une faucille qu’il portait en sautoir, couper quelques branches à un buisson voisin, et réparer le dommage en homme habitué à de pareils accidens. Je profitai de ce temps de repos pour lui faire entendre qu’un galop continuel ne me plaisait nullement : — « Bine, bine, domnoule, bien, monsieur, » et il n’était pas remonté à cheval, qu’il avait oublié ma prière. Bientôt heureusement le relai fut franchi, et je repris haleine à la maison de poste. J’exhibai mon ordre au logothète (c’est le nom que l’on donne en Valachie à tous les buralistes, depuis le ministre de l’intérieur jusqu’au dernier commis) pour qu’il me fît préparer des chevaux et un nouveau caroutche, car on change d’équipage à chaque poste. Malgré notre accident, nous avions fait quatre lieues en une heure un quart ; le souroudjou vint à moi d’un air si content de lui, que, suivant ce que l’on m’avait dit, je crus devoir trancher du grand seigneur à bon marché en lui donnant une pièce de dix sous. Le pauvre homme la reçut avec une joie que ne témoignerait pas un postillon français à la vue d’un pourboire de vingt francs.

À six lieues de Czernetz, le pays devient montagneux ; de magnifiques collines disposées de la manière la plus pittoresque, des arbres d’une élévation prodigieuse, de belles eaux, tout cela, malgré les cahots de la voiture, rendit cette partie de ma route fort agréable. L’ardeur du souroudjou était d’ailleurs calmée par les courbures continuelles du terrain et par les longues côtes qu’il lui fallut gravir sans galoper.

Le sol de la Valachie ne demande qu’à produire, mais on ne rencontre qu’à de bien longs intervalles quelques champs de maïs ou de blé. Les villages, fort distans les uns des autres, ne sont, pour la plu-