Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/563

Cette page a été validée par deux contributeurs.
559
LA VALACHIE.

rité des éloges qu’il donne au district de Karansébés ; mais j’ai parcouru celui d’Orsova, et j’y ai rencontré partout la misère la plus profonde. Les habitations ne sont que des huttes de boue et d’osier, où nos cultivateurs ne voudraient point placer leurs bestiaux ; ces tristes asiles de la pauvreté sont entourés de mares infectes, où barbottent ensemble enfans, canards et pourceaux. Les hommes portent des haillons qui rappellent ceux des paysans magyars ; le costume des femmes se compose simplement d’une longue chemise de toile serrée par une ceinture de laine bariolée, et d’une chaussure de cordes qui ressemble assez aux spartilles espagnoles. J’ai vu de ces malheureuses, attelées à des charrues, remuer péniblement le champ de la famille. Si, vaincues par la fatigue, elles suspendent un instant ce labeur qui dépasse leurs forces, ce n’est point pour se livrer à l’oisiveté, au repos, mais pour filer leurs fuseaux. Les terres m’ont paru fertiles, mais mal cultivées ; leurs propriétaires, en effet, sont sans argent, et privés de bons instrumens aratoires. Singulier bien-être ! étrange prospérité ! Un système au moyen duquel on peut, en vingt-quatre heures, hérisser la côte de cent mille baïonnettes, est une excellente institution militaire, personne ne lui conteste ce mérite ; il renferme même, je le crois, les germes d’une amélioration sociale que l’avenir développera ; sous ce point de vue, il y a des espérances bien fondées à concevoir ; mais, pour le présent, il n’y a pas d’éloges à donner.

À la nuit tombante, je repris ma place dans la cabine du Zrinyi. Le lendemain, mes oreilles furent agréablement frappées par des paroles françaises. Trois hommes causaient entre eux, et le plus jeune, en s’adressant aux deux autres, les qualifiait d’excellences. Quelles pouvaient être ces excellences ? Je me trouvais sur le bateau avec MM. Constantin Ghika et Blaramberg, le premier frère, et le second beau-frère du prince Aleko Ghika, hospodar régnant de Valachie, deux hommes aimables et spirituels dont je garderai le souvenir.

Dès mon arrivée à Semlin, je courus chez le maréchal-lieutenant, et j’attendrais encore son visa, si un honnête limier de la police la plus tracassière et la plus vénale de l’Europe ne se fût chargé de terminer mon affaire. De retour à Orsova, et ma visite faite au major, qui m’apprit d’un air tout joyeux que, cinq minutes après mon départ, on avait retrouvé mon passeport, j’eus la faculté, dont j’usai sur l’heure, de quitter le village ; mais, avant d’entrer en Valachie, je voulus pousser jusqu’à Méhadia.

La route qui mène à ce célèbre établissement thermal est délicieuse ;