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DE L’IRLANDE.

vrance de sa patrie, ne songe pas à lui faire courir de telles chances, et l’homme qui exerce depuis dix ans une prépondérance chaque jour plus marquée sur les destinées de l’immense empire britannique, et par conséquent sur celles du monde, ne désire pas, on peut le croire, échanger la retentissante enceinte de Saint-Étienne pour une salle obscure de Dublin. Le rapport de l’union n’a donc jamais été pour O’Connell chose vraiment sérieuse. En le présentant, l’année dernière, comme mesure comminatoire, il courait risque ou de manquer à ses engagemens, ou de se laisser emporter en dehors de ses véritables projets, double danger auquel ne s’expose jamais un homme d’état. La fausseté de cette situation n’échappa pas à ses compatriotes. Malgré la juste irritation que leur faisaient éprouver les retards apportés par la pairie à l’adoption des mesures proposées par le cabinet, ils hésitaient visiblement à hasarder un tel enjeu pour des questions graves sans doute, mais secondaires auprès de celles qui avaient été naguère résolues. La première condition de succès pour une pensée populaire, c’est sa spontanéité, et celle qui servait de base à la formation de la société précurseur parut d’abord en manquer complètement.

Aujourd’hui les circonstances ont changé ; des faits nouveaux ont donné raison au grand agitateur, soit qu’il les prévît dès l’année dernière, ou qu’ils se soient rencontrés à point comme pour opérer le miracle d’une popularité maintenue sans interruption d’un bout à l’autre d’une vie humaine. La pairie ne se borne plus à refuser à l’Irlande le complément des lois destinées à faire disparaître les dernières traces de l’inégalité politique entre les deux parties du Royaume-Uni ; elle semble menacer les conquêtes déjà faites, elle attaque au moins l’Irlande dans ce qu’elle possède de plus précieux, l’administration paternelle qui la régit depuis l’avènement des whigs aux affaires. Une motion impertinente autant qu’absurde[1] voudrait insinuer qu’un mode de gouvernement équitable et national est moins favorable à la tranquillité publique qu’un pouvoir de secte et de faction, et que mieux valent, pour la dispensation de la justice locale, des tribunaux repoussés par la conscience des populations que des magistrats que celles-ci acceptent et qu’elles honorent. À voir les tories reprocher ses désordres à l’Irlande, on croit entendre un conducteur de nègres insulter ses esclaves, parce qu’ils ont le dos courbé et le visage sillonné sous les coups dont il les lacère. Le to-

  1. Motion de lord Roden à la chambre des pairs, tendant à provoquer une enquête sur les crimes et délits commis en Irlande sous l’administration de lord Normanby.