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LES CÉSARS.

recta) n’est pas assez ; il faut une maison inouie. De l’airain ciselé, des coupes de myrrhe, luxe vulgaire ! que la coupe où il boit soit d’une seule pierre et d’une pierre fine ; qu’elle soit de cristal. Le danger de la briser est un plaisir de plus[1]. Que le pavé de ses salles soit semé de pierres précieuses. Qu’il aille dans les ventes enchérir pour des sommes immenses sur des airains de Corinthe, non qu’il recherche la perfection du métal, non qu’il paie si cher l’élégance du dessin, non qu’il mette un si haut prix à la réputation de l’artiste, mais parce qu’il paie et qu’il apprécie le nom des élégans possesseurs par les mains desquels ces vases ont passé. Avoir de délicats et de magnifiques poissons, ce n’est que gourmandise ; mais faire nager dans un bassin de marbre des poissons que saisit la main des convives, mais les faire expirer dans des vases de cristal pour jouir des mille nuances diaphanes qui colorent leur agonie, c’est là de la gloire. Des thermes, des piscines, des jardins, c’est un besoin pour quiconque veut vivre ; mais des jardins plantés sur le faîte d’une maison, et qui la couronnent de leurs arbres, agités par le vent ; mais des thermes bâtis en pleine mer, au défi des orages ; mais une piscine immense, océan d’eau chaude, dont les vagues sont poussées au vent, c’est d’autant mieux un triomphe que c’est à peine une jouissance de plus[2].

De là toutes les fantaisies du riche ennuyé : faire du jour la nuit ; quelle estime mérite la lumière du jour ? on ne la paie point[3] ; avoir, pour l’ornement de sa salle à manger, de riches bibliothèques dont on n’ouvre même pas le catalogue[4] ; quelquefois, las de richesses, essayer de la vie indigente, avoir chez soi « la cellule du pauvre[5] » où l’on va vivre un jour ou deux, où le couvert se met sur le plancher, où l’on mange dans des plats de terre un maigre repas, laissant reposer la riche vaisselle d’argent et d’or, afin, lors-

  1. Omnis rerum voluptas periculo crescit. (Sénèque, De Benef., VII, 9.)
  2. Voir Sénèque, ép. 122, 90. — Sénèque le rhéteur, Controv., V, 5.
  3. Fastidio est lumen gratuitum.

    « Pedo Albinovanus nous racontait (vous savez comme il contait bien) qu’il avait habité une maison au-dessus de celle de Sp. Papinius. Ce dernier était aussi du nombre de ces lucifuges. Vers la troisième heure de la nuit (neuf heures du soir), j’entends des coups de fouet. Que fait-il ? demandé-je. Il se fait rendre ses comptes. » (C’est à ce moment qu’on châtiait les esclaves.) « Vers minuit, une clameur perçante, qu’y a-t-il ? Il s’exerce à chanter. Vers deux heures du matin, quel est ce bruit de roues ? Il sort en voiture. Au lever du jour, on court, on appelle, sommelier et cuisiniers sont en mouvement. Qu’est-ce donc ? Il sort du bain, il demande du vin miellé. » (Sénèque, ep. 122.)

  4. Libri cœnationum ornamenta… quorum ne indices quidem legunt. (Sénèque, De Irâ.)
  5. Pauperis cella. (Sénèque, ep. 18,100.)