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DE L’IRLANDE.

Le cabinet whig, débordé en Irlande par l’irritation populaire, comme en Angleterre par la recrudescence du torysme, était réduit à ne signaler ses bonnes intentions que par des demi-mesures qui, violemment attaquées par l’orangisme au sein de la chambre haute, acceptées faute de mieux par le parti irlandais de la chambre des communes, venaient se briser en Irlande ou contre de violentes résistances, ou contre une impassibilité plus dangereuse encore. Il resta démontré par les faits que toute tentative de redressement qui ne procéderait pas par la suppression pure et simple d’un tribut odieux à tant de titres, n’aurait aucune sorte de portée. La mesure dont on avait attendu une amélioration dans le sort de ce pays, n’avait levé aucun des obstacles qui rendaient désormais comme impossible la perception de la dîme ; aussi le clergé anglican se trouvait-il dans une situation très difficile. Tout ce que put, en 1838, le ministère Melbourne pour conjurer les embarras dont un parti faisait si injustement retomber le poids sur sa tête, ce fut de présenter un bill dont le résultat définitif était de mettre à la charge de l’échiquier de la Grande-Bretagne les arrérages des dîmes irlandaises, en stipulant un droit de recours visiblement illusoire. O’Connell et ses amis accordèrent une superbe et ironique approbation à une mesure qui était la plus éclatante sanction de leurs paroles et de leur conduite. L’église anglicane était, d’après eux, un établissement imposé à l’Irlande, et qui lui était pour ainsi dire étranger : dès-lors, si l’Angleterre prétendait le maintenir pour la convenance de sa politique ou la satisfaction de quelques consciences épiscopales, il était très simple qu’elle en fît les frais ; ce plaisir pieux valait bien un million sterling, et les membres irlandais le votèrent par un motif tout opposé à celui qui inspirait sir Robert Peel et les révérends prélats de la chambre haute.

Des esprits politiques ne pouvaient manquer d’apercevoir tout ce que de telles mesures impliquaient de funeste pour l’avenir de l’établissement protestant en Irlande ; mais, dans ce pays, les masses les jugèrent moins selon leurs tendances que selon leur portée immédiate, et s’alarmèrent en voyant leurs représentans sanctionner par des concessions ce qu’elles repoussaient avec la double énergie de la conscience et de la colère. Les transactions auxquelles dut se prêter O’Connell, par cela même qu’il soutenait contre le torysme une administration favorable à ses compatriotes, et qui faisait de l’amélioration du sort de l’Irlande sa principale, peut-être pourrait-on dire son unique étude, furent signalées par des passions ignorantes ou jalouses comme des déviations de sa politique naturelle ; et l’on affecta de