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d’une motion qui, allant droit au fond des choses, proclamait un principe dont le triomphe, infaillible dans l’avenir, coûtera cependant autant de peine, et peut-être autant d’années, que celui de la réforme parlementaire. Dans un discours que devait clore une proposition restée célèbre[1], M. Ward exposa l’étrange situation de cette église campée au sein d’une population qui la repousse.

Selon l’honorable représentant de Saint-Albans, le système des dîmes était la source de tous les désordres qui affligeaient ce pays. La résistance à leur perception était, depuis trois années, devenue à peu près universelle dans le nord aussi bien que dans le midi. Elle embrassait les protestans comme les catholiques, et menaçait de susciter une opposition générale à toutes les dettes légales. En vain l’Angleterre entretenait-elle en Irlande une force égale à celle que réclame son vaste empire des Indes ; en vain les tribunaux rendaient-ils des arrêts qui recevaient trop souvent une exécution sanglante. Un rapport récent constatait que dans les cinq années précédentes dix-sept mille neuf cent quatre-vingt-une causes, pour faits relatifs aux dîmes, avaient été débattues dans les sessions trimestrielles : masse effrayante de poursuites qui, loin de briser les résistances, les avait rendues plus compactes et plus énergiques. M. Ward établissait qu’un million sterling était consacré chaque année aux besoins d’un établissement religieux qui, selon lui, ne correspondait pas aux croyances de plus de la quatorzième partie de la population, c’est-à-dire à celles de six cent mille personnes environ. De cette disproportion entre les richesses et les besoins, entre le personnel ecclésiastique et le nombre des fidèles, avait surgi un abus arrivé à l’état de scandale public, la non-résidence. Aux termes d’un rapport présenté en 1815 sur la situation de l’église établie en Irlande, on y comptait six cent soixante-quatre ministres résidens, et cinq cent quarante-trois non résidens, et cette proportion s’était maintenue depuis cette époque. Parmi les ministres dévoués à leurs devoirs, un assez grand nombre remplissaient leurs fonctions pour un modeste salaire, dont la moyenne ne dépassait pas 70 livres sterling par an ; les vingt-cinq millions de francs auxquels M. Ward estimait les revenus de toute nature de l’église anglicane en Irlande, passaient donc en presque totalité aux mains de quelques privilégiés et de sinécuristes, fait immoral dont l’orateur, au nom de la religion elle-même, réclamait le prompt redressement. Il proposait, en consé-

  1. Chambre des communes, 27 mai 1834.