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DE L’IRLANDE.

nell lorsqu’il osa concevoir le plan d’une association dont la formation a été, pour le royaume-uni, le plus grand événement du siècle.

Ce fut en 1823 que treize personnes, réunies dans l’étroite boutique d’un libraire, à Dublin, jetèrent les bases d’une société qui, deux ans après, devait compter dans son sein des millions d’hommes, fixer l’attention de tous les peuples, et recevoir des tributs de l’Amérique et des Indes ; corps prodigieux qui, marchant toujours appuyé sur la loi, lors même qu’il apprêtait ses armes, parvint à se substituer au gouvernement de son pays, sut organiser en dehors de lui une police et une administration admirables, et qui, par ses ramifications gigantesques et son système d’impassible résistance, brisa, chose inouie ! toute la puissance de l’Angleterre, en lui interdisant tout prétexte d’engager le combat pour en appeler à la force.

Un double objet préoccupa d’abord les chefs de la nouvelle association. Il s’agissait d’une part d’y rattacher étroitement le peuple, en lui suggérant des habitudes de subordination et de discipline, de l’autre, de discréditer le gouvernement, et de l’acculer à l’impuissance en constituant un pouvoir mieux obéi que le sien.

La population irlandaise, dans le cours de sa longue et triste histoire, n’avait connu le pouvoir que comme un joug ; elle ne lui avait jamais demandé ni protection ni appui ; de leur côté, les comités antérieurs ne s’étaient point occupés du peuple, et celui-ci avait maintenu dans toute sa barbarie le système sanglant des représailles individuelles. La nouvelle association s’occupa d’une manière toute spéciale de ces masses si long-temps livrées à leurs instincts brutaux et à leur aveugle imprévoyance. Elle parvint, en leur offrant des secours contre la rigueur des lois, en leur montrant en perspective le redressement de tant de griefs, à contenir, si ce n’est à changer, les habitudes les plus invétérées. Un magistrat se rendait-il coupable de quelque acte d’oppression, un collecteur de dîmes ajoutait-il à l’iniquité de cet impôt d’odieux procédés de recouvrement, un catholique était-il insulté par l’une de ces sauvages processions orangistes si communes dans le nord de l’Irlande, ces faits étaient aussitôt soumis au plus minutieux examen ; des avocats et des jurisconsultes étaient chargés de prendre la défense du plaignant, de faire valoir, aux frais de tous, ses titres et ses droits devant la cour de justice ; puis une presse spécialement fondée par l’association saisissait l’Irlande et l’Angleterre de ces attentats jusqu’alors ignorés, et leurs auteurs tremblaient en les entendant dénoncer pour la première fois à l’indignation du monde.