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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

eût conduit en personne la guerre de Grèce, et ses coups eussent été plus sûrs, plus décisifs. Peut-être n’eût-il pas été réduit à l’horrible extrémité de détruire par le fer et le feu les janissaires. Il eût appliqué l’énergie de sa volonté à modifier leur esprit turbulent. Si l’habileté de sa diplomatie n’avait pu lui éviter les embarras d’une guerre avec la Russie, il eût du moins créé à son ennemi de grands périls, et mis hors de question l’existence de son empire. Le Bosphore, les Dardanelles et les Balkans, boulevarts dont la nature a entouré sa capitale, fussent devenus par ses soins des positions inexpugnables, et Diébitsch ne serait point venu lui dicter des lois dans les murs d’Andrinople. Il n’eût point laissé la puissance égyptienne grandir, ni se développer ; il eût étouffé lui-même dans son berceau cet ennemi naissant. Enfin sa puissance militaire lui eût été d’un merveilleux secours pour réformer son administration. En face d’un souverain qui au sceptre de la religion et de la politique eût joint la force du glaive, toutes les résistances eussent fléchi, tous les intérêts, tous les préjugés ligués contre lui eussent été vaincus. Mais ni la nature ni l’éducation ne l’avaient préparé à faire ces grandes choses ; il a succombé sous la violence des évènemens. On peut dire que, dans le cours de ses trente années de règne, la Turquie a parcouru le cercle de toutes les infortunes possibles ; aucune ne lui a manqué. La guerre civile et la guerre étrangère, travaillant en commun à son démembrement, lui enlevant en Europe une partie de la Moldavie, la Grèce et les îles qui commandent l’embouchure du Danube, en Asie le territoire confinant à l’Imiret et à la Géorgie, la Syrie et le district d’Adana, en Afrique l’Égypte ; ses vieilles institutions militaires détruites par la main de son souverain, et les nouvelles arrêtées dans leurs développemens par les armes de la Russie ; le sultan réduit à placer sa couronne et sa tête sous la protection de douze mille Moscovites ; toutes ses ressources épuisées ; l’opinion du peuple altérée, sa foi dans les vieilles croyances ébranlée, l’influence de la mosquée attaquée à sa source ; toutes les forces organisées du pays, forces morales et matérielles, détruites ou affaissées : tel est en quelques traits le tableau des misères qui, depuis un quart de siècle, sont venues fondre sur la Turquie et l’ont conduite au bord de l’abîme. Mahmoud lui-même n’a pu traverser tant d’épreuves cruelles sans y laisser une partie de son énergie morale. Depuis la paix d’Andrinople, il n’est plus qu’un débris de lui-même ; ce qui lui restait de force est allé se perdre dans les voluptés du sérail : semblable à ces hommes qui, rongés de chagrins ou d’ennuis, cherchent dans les distractions de la débauche l’oubli de leurs tourmens, il s’est plongé tout entier dans