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sa paresse et son incurie ; les cultures du coton, de l’indigo et du sucre seraient abandonnées pour celles des céréales, qui demandent moins de peines ; dès-lors le pays perdrait à nos yeux tous ses avantages commerciaux et sortirait de notre système pour tomber dans celui de l’Angleterre.

Il ne faut donc pas se le dissimuler, le renversement du pouvoir de Méhémet-Ali pourrait offrir à l’Angleterre une occasion d’agrandir sa sphère d’opérations politiques et commerciales en Orient. De là le traité qu’elle a conclu, le 16 août 1838, avec la Porte sur l’abolition des monopoles dans toute l’étendue de l’empire ottoman, y compris l’Égypte et la Syrie. Toute la force du vice-roi repose sur le monopole. Lui demander qu’il y renonce, c’est lui demander sa ruine, c’est jeter le désordre et la confusion dans son gouvernement, c’est le désarmer de sa marine et de ses troupes. La Porte n’a pas eu d’autre pensée lorsqu’elle a négocié le traité. Sans y porter, bien entendu, les mêmes passions, nous croyons que le cabinet de Londres n’a pas voulu seulement protéger son commerce du Levant, mais ébranler dans ses bases le pouvoir du pacha, peut-être même l’immoler à la haine du sultan. L’occupation récente par les Anglais de la position d’Aden qui commande l’entrée de la mer Rouge, rapprochée du traité sur l’abolition des monopoles, n’est-elle pas une révélation lumineuse de leurs vues ultérieures sur l’Égypte ? La France a donné aussi son adhésion au traité du 16 août, mais elle n’a pu voir dans cet acte qu’un moyen de garantir les intérêts de son commerce et de faire comprendre au pacha que le moment était venu enfin d’adoucir les rigueurs de son système fiscal et de substituer d’autres combinaisons à celles dont il a si cruellement abusé jusqu’ici.

Les intérêts des grandes puissances de l’Europe sont donc tout-à-fait dissemblables sur la question égyptienne, comme ils le sont sur la question de Turquie, et ces différences ont eu une part immense aux malheurs qui ont accablé la Porte depuis trente ans. L’Orient se trouverait-il donc soustrait par la force des choses à l’influence conservatrice des cours de Vienne, de Londres et de Paris, et ces puissances seraient-elles condamnées à assister à ses révolutions futures sans pouvoir les maîtriser ? Quant à nous, nous sommes convaincu que le jour où elles voudront sérieusement concerter leurs pensées et leurs efforts pour assurer la sécurité du Levant, le problème sera résolu. Elles semblent, du reste, en ce moment, vouloir sortir de leur attitude apathique et disputer la Turquie à l’omnipotence russe. Le traité du 16 août 1838 avec la Turquie ; la conven-