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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

de Koniah et d’Unkiar-Skelessi (avril et juillet 1833). Par le premier, il abandonna au pacha d’Égypte l’investiture de la Syrie ; par le second, il consacra l’intervention de la Russie dans les affaires intérieures de son empire, et plaça les Dardanelles sous l’action immédiate de sa politique. De tous les côtés honte et sacrifices ; ici, abandon d’une de ses plus belles provinces ; là, véritable aliénation de son indépendance.

Pour Méhémet-Ali, la conquête de la Syrie lui a valu d’inappréciables avantages ; on peut dire qu’elle a complété sa puissance. L’Égypte, qui n’a point de forêts, ne pouvait lui fournir les bois nécessaires à sa marine ; il était obligé de les acheter et de les faire venir à grands frais à Alexandrie. C’était là, dans sa situation, un véritable point de faiblesse qui n’existe plus ; les forêts séculaires du Liban lui offrent maintenant d’immenses ressources. Réduit à l’Égypte, il n’était nullement protégé contre les agressions de la Porte : le voisinage de la Syrie était pour lui un danger toujours imminent ; maîtresse des fortes positions militaires de cette province, la Porte pouvait agir contre lui tout à la fois et par ses armées de terre et par ses flottes ; aujourd’hui la Syrie, au lieu d’être un danger pour lui, est devenue son boulevart. De plus, en s’emparant du district d’Adana, c’est lui qui met en échec la puissance du sultan ; des défilés du Taurus, il plonge sur toute l’Asie mineure ; il menace Smyrne et Scutari, position redoutable, et dont l’attention de l’Europe ne saurait trop se préoccuper.

Cet état de choses, jugé au point de vue des puissances qui ont un intérêt manifeste à la paix du Levant et au maintien de la Turquie, est un grand malheur, et l’on ne peut comprendre comment l’Angleterre ne s’est point opposée à son développement. Elle prévoyait sans doute que tôt ou tard Méhémet-Ali romprait avec l’autorité du sultan. Dans l’état d’impuissance où l’avaient jetée les désastres de 1829 et le traité d’Adrinople, la Porte était vulnérable aux coups du plus faible ennemi, à plus forte raison d’un ennemi tel que Méhémet-Ali. La politique de l’Angleterre lui était indiquée par tous ses intérêts ; tout lui commandait de couvrir la débilité actuelle de la Turquie, d’écarter d’elle de nouveaux périls, de lui donner les moyens et le temps, en garantissant sa sécurité, de réorganiser sa puissance. Dès qu’elle eut connaissance des prétentions du vice-roi, elle aurait dû se jeter entre les deux rivaux, protéger l’un et contenir l’autre. Méhémet-Ali eût subi l’ascendant d’une volonté qui avait à ses ordres la première marine du monde. Au fond, il a encore plus de prudence