Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/500

Cette page a été validée par deux contributeurs.
496
REVUE DES DEUX MONDES.

lui fût dévouée. L’armée des pachas était un assemblage informe de hordes pillardes et indisciplinées qui portaient partout la ruine et la dévastation. Les Albanais se distinguaient entre tous par leur naturel belliqueux et indépendant ; ce corps pouvait devenir dans des mains habiles un admirable instrument de domination. Méhémet s’empara peu à peu du cœur de ces hommes ; il les subjugua par son adresse et son courage, et en fit en quelque sorte sa garde personnelle. Mais ce n’était là qu’une force matérielle : il jugea non moins utile de se créer un parti au sein même du pays ; il mit en œuvre tout ce que la nature lui a départi de ruses et de séductions pour se concilier les hommes de la loi et de la religion. Lorsque les Français eurent évacué l’Égypte, la lutte s’engagea entre les pachas nommés par la Porte et les Mamelouks, lutte dont le prix devait être pour les vainqueurs la domination du pays. Méhémet se jeta dans la lice, non pour servir l’un des deux partis, mais pour les détruire l’un par l’autre et s’élever sur leurs ruines. Rien n’égale la souplesse infinie, le génie d’intrigue et en même temps l’audace qu’il déploya. Cromwell ne fut pas plus habile pour se soumettre le long parlement et s’emparer de la dictature. C’est un curieux spectacle que celui de ce chef d’Albanais renfermé en apparence dans les limites d’un pouvoir subalterne, et toutefois présidant à toutes les révolutions du Caire, servant la cause des pachas lorsqu’il fallait humilier les Mamelouks, puis s’unissant à ceux-ci contre ses alliés de la veille pour les abaisser à leur tour ; ruinant ainsi successivement Mohammed-Pacha Kousrouf, Ali-Pacha Gesaïrly, et enfin Kourchid-Pacha, et parmi les chefs de Mamelouks, le bey l’Elfy, Ibrahim-Bey et Osman-Bey Bardissy ; puis enfin, après avoir renversé tous ces pouvoirs rivaux, se faisant imposer avec une feinte violence, par les cheiks et les chefs de troupes, la vice-royauté de l’Égypte. Cependant il ne lui suffisait pas d’avoir conquis cette haute position ; il lui restait à obtenir la confirmation de la Porte et à soumettre les Mamelouks. Des émissaires, organes officieux des vœux de la population et chargés de présens, lui assurèrent la protection du divan. Quant aux Mamelouks, il leur fit pendant long-temps une guerre sans relâche, espérant les fatiguer et les réduire à force de victoires. Mais la configuration du pays éternisait la lutte : vaincus, les Mamelouks se retiraient dans la Haute-Égypte et la Nubie, formaient des alliances avec les tribus du désert, et revenaient, escortés d’une nuée d’Arabes, ravager la Basse-Égypte. Entre le pacha et cette milice puissante, c’était une lutte à mort ; il fallait que l’un des deux succombât. Ne pouvant les abattre par les armes, Méhémet-Ali eut