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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

sastreuse de 1829. Là, quelle énergie, quel entraînement ! ici, au contraire, que de découragement et de tiédeur ! Mahmoud lui-même ne put se tenir ferme ni debout au milieu de tant de malheurs, et l’adversité entama dans le vif cette ame que l’on eût dit trempée dans le bronze. Supérieur à son peuple à beaucoup d’égards, ce prince lui ressemblait par un orgueil immense que ne justifiaient ni l’état débile de son empire, ni la mesure de son génie personnel. La campagne de 1829 l’humilia profondément, et en l’humiliant elle le brisa. La nouvelle de l’entrée des Russes dans Andrinople le surprit dans son camp de Ramish-Tifflick et le jeta dans un morne abattement. Il crut que c’en était fait de son empire, de son trône, de sa vie. Tout fut perdu à ses yeux, et cet homme, si beau d’énergie dans les premières années de son règne, resta pendant quelques jours comme frappé d’anéantissement. Il fallut l’intervention tardive, mais efficace, des ambassadeurs d’Angleterre et de France, qui suspendit la marche des Russes, pour faire cesser ses terreurs et lui rendre la conscience de lui-même. Cependant, comme situation militaire, sa cause était loin d’être désespérée. Le mouvement de Diébitsch était d’une extrême témérité. Il avait à peine avec lui vingt mille hommes. La famine et la peste l’avaient comme poussé sur la crête des Balkans. C’était autant pour faire vivre son armée dans un pays sain et abondant que pour aller dicter une paix glorieuse qu’il était venu déborder dans les plaines de la Roumélie. Si Mahmoud avait mieux compris sa situation militaire, il eût fait repentir Diébitsch de son audace et mis en grand péril sa faible armée. En 1827, il avait tout compromis par excès d’orgueil ; en 1829, il se résigna, par excès d’abattement, à des sacrifices qu’avec une fermeté plus éclairée il aurait évités. Il n’y eut point de gradation dans ses concessions. Le même homme qui avait joué sa marine à Navarin contre les trois plus grandes puissances de l’Europe, plutôt que de consentir à n’être que le suzerain de la Grèce, souscrivit sans condition à son indépendance absolue. Il signa la paix d’Andrinople (2 septembre 1829), qui le frappa sur tous les points, en Europe et en Asie, dans le présent et dans l’avenir. Ce traité, résultat de ses fautes et de celles du roi de France, formera une triste page dans l’histoire de la décadence de la Turquie. Par cet acte, la Russie s’est fait céder les îles situées à l’embouchure du Danube, ce qui la met en mesure de commander toute la navigation de ce fleuve. Elle a exigé que les Turcs abandonnassent la rive droite à la distance de six lieues ; elle ne leur a laissé qu’un droit de suzeraineté sur la Moldavie et la Valachie ; elle a présidé à l’établissement du gouverne-