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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

cution de son dessein après la solution des graves difficultés qui se préparaient. Mais ce prince était à bout de résignation, et, prenant conseil de sa haine bien plus que d’une politique prévoyante, il prononça l’arrêt des janissaires. Les 16 et 17 juin 1826, il extermina par le fer et le feu cette milice redoutable. Le coup une fois porté, il brisa avec toutes les traditions de ses prédécesseurs, changea le costume, dépouilla le turban, organisa une véritable conscription, et forma des régimens sur le type européen, présidant lui-même aux manœuvres, et voulant ainsi prouver qu’après avoir eu l’énergie de détruire, il aurait celle de fonder. Mais le temps, si précieux, si nécessaire, pour conduire à terme ses projets, le temps devait lui manquer.

La question grecque en renfermait deux parfaitement distinctes, une question d’humanité et de civilisation, et une question politique. S’il était donné à la première d’éveiller dans toute l’Europe des sympathies également vives et profondes, il n’en était pas de même de la question politique. Celle-ci, composée d’intérêts positifs, rentrait dans la sphère exclusive des gouvernemens.

L’insurrection de la Grèce était, dans les destinées de la Turquie, un évènement d’une portée incalculable. Elle était comme le signal d’une ère d’émancipation pour toutes les populations chrétiennes de l’empire, un appel fait à tous les Grecs ensemble, une commotion qui menaçait de s’étendre à la Thrace, à la Macédoine, à la Bulgarie, à la Servie, à la Moldavie et à la Valachie. La Porte avait mesuré toute la portée d’un tel évènement ; elle comprenait que, si elle laissait se détruire sur un point le prestige de sa force, le lien du faisceau se briserait et l’œuvre de la conquête serait anéantie. Voilà ce qui explique ses fureurs implacables contre les Grecs, ses prodigieux efforts pour les replacer sous le joug, et plus tard enfin l’opiniâtreté de ses refus de reconnaître leur indépendance.

Considérée de ce point de vue, la question grecque sortait de son étroite sphère et acquérait les proportions immenses de la question d’Orient. On conçoit dès-lors les graves discussions qu’elle devait soulever dans les conseils des grandes puissances de l’Europe, et combien il était difficile qu’elles s’accordassent sur les moyens de la résoudre. La divergence de leurs intérêts en Orient devait naturellement se reproduire dans toutes leurs délibérations sur les affaires de Grèce. Comment, en effet, la Russie qui a un intérêt si grand à l’affaiblissement de la Turquie, l’Autriche et l’Angleterre qui en ont un plus grand encore à sa conservation, la France et la Prusse que les