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en effet, a été pour elle une occasion nouvelle de désastres ; toutes ont été marquées par d’humiliantes défaites, couronnées elles-mêmes par des traités plus honteux encore. Tant de faiblesse et de malheurs était le résultat de la mauvaise constitution politique de la Turquie, de son ignorance des arts de l’Europe, surtout de l’état arriéré de ses institutions militaires, et du défaut absolu d’armées régulières. En effet, tandis que tout autour d’elle avait marché, que des états, incultes encore à tant d’égards, avaient su emprunter à la civilisation toutes ses découvertes, et à la science militaire toutes ses armes, la Turquie seule demeurait stationnaire ; seule, elle fermait les yeux à la lumière, et fidèle aux vieilles traditions, s’obstinant à n’employer sur les champs de bataille comme partout que des instrumens barbares, elle n’opposait aux armées de l’Europe que ses janissaires indisciplinés et ses hordes asiatiques. Sélim comprit la nécessité d’une réforme : il créa le nizzam djeddi ou nouvelle milice. Les janissaires sentirent aussitôt qu’il y allait de leur existence comme corps privilégié ; la lutte s’engagea, et Sélim succomba. Les janissaires triomphans mirent sur le trône sultan Mustapha, qui, moins d’un an après, en fut précipité, comme nous l’avons vu, par le Baraïctar et remplacé par son frère Mahmoud. Ainsi ce prince, devant son élévation au parti réformateur, se fût trouvé, par la force des choses, l’ennemi déclaré des janissaires, lors même que les leçons de Sélim ne lui eussent point appris à les haïr. Deux partis étaient en présence : d’un côté se trouvaient l’intrépide sultan, tous les membres éclairés du divan et la plupart des pachas ; de l’autre, les janissaires et les ulémas. Les ulémas, interprètes du Coran, qui est tout à la fois le code civil, politique et religieux des musulmans, réunissent dans leurs mains le double pouvoir du sacerdoce et de la justice, pouvoir immense qui a pour base le caractère profondément religieux des Turcs et de grandes richesses, et qui dominerait tout, le trône comme les sujets, si le sultan, héritier de la puissance des califes, n’était vénéré et obéi comme souverain et comme pontife suprême de la religion musulmane. Ainsi que tous les corps politiques ou religieux qui tendent sans cesse à agrandir leur sphère d’influence et d’action, les ulémas ont trouvé dans le janissarisme un instrument docile, et ils s’en sont emparés. Les janissaires, troupe ignorante et fanatique, subirent naturellement l’action des chefs de la loi et de la religion ; une union intime se forma entre eux, et, se fortifiant l’un par l’autre, ils rendirent leur cause solidaire : l’un donnait l’impulsion morale, l’autre agissait ; le premier était la tête,