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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

entre Seine-et-Marne, à son plénipotentiaire, le duc de Vicence, une lettre que je suis heureux de faire connaître : « J’ai reçu, lui disait-il, les propositions qui vous ont été remises. Il n’y a pas un Français dont elles ne fassent bouillir le sang d’indignation. La France, pour être aussi forte qu’elle l’était en 1788, doit avoir ses limites naturelles en compensation du partage de la Pologne, de la destruction du clergé d’Allemagne, et des grandes acquisitions faites par l’Angleterre en Asie. Je suis si ému de cette infâme proposition, que je me crois déshonoré rien que de m’être mis dans le cas qu’on me l’ait faite. Je crois que j’aurais mieux aimé perdre Paris que de voir faire de telles propositions au peuple français, et je préférerais voir les Bourbons en France avec des conditions raisonnables. »

Il refusa donc. S’enfermer dans la France de 1792, lui qui l’avait trouvée portée jusqu’aux Alpes et jusqu’au Rhin par la république, et qui avait prêté serment de maintenir l’intégrité de son territoire, c’était au-dessus de sa volonté et même de sa position. Le soldat devenu empereur n’était plus rien s’il n’était grand. Humilié par la défaite et perdant son prestige par un pareil traité, il restait incapable de commander. Il n’avait pas, comme les vieilles familles qui gouvernaient les états de l’Europe, l’appui du temps. Celles-ci pouvaient beaucoup céder dans un moment de détresse. Leur puissance territoriale était diminuée, mais leur autorité politique n’était pas compromise. Elle reposait sur l’habitude et non sur la victoire. La victoire était l’origine, le principe, la base du gouvernement impérial. Il perdait sa légitimité en perdant sa grandeur. Napoléon le sentait. Il aurait pu s’arrêter en montant, il ne le pouvait pas en descendant ; car on modère ses progrès et non sa chute.

Aussi avait-il écrit à son plénipotentiaire dès le 19 janvier, avant d’entrer en campagne : — « Si l’on propose les anciennes limites, j’ai trois partis à prendre, ou combattre et vaincre, ou combattre et mourir glorieusement, ou enfin, si la nation ne me soutient pas, abdiquer. Le système de ramener la France à ses anciennes frontières est inséparable du rétablissement des Bourbons. » Ce qu’il avait annoncé, il l’exécuta. Il entreprit cette immortelle campagne, faite, non comme celle d’Italie dans la jeunesse, en pays ennemi, en temps de succès, avec espérance, contre un seul ennemi, mais dans les fatigues de l’âge, sur le territoire de la patrie, au milieu des revers et des défections, contre toute l’Europe et sans illusion. Jamais son activité ne fut plus infatigable, sa volonté plus forte, son ame plus fière, son