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inouies, M. de Talleyrand cessa volontairement de diriger la diplomatie de Napoléon. Était-il fatigué d’un rôle où sa modération était quelquefois condamnée à des sacrifices, et pensait-il que le déclin devait commencer au point où avait été atteinte la plus extrême hauteur ? Ou bien préférait-il le titre de vice-grand électeur qui lui fut donné, à la conduite des plus importantes affaires ? Peut-être y avait-il à la fois le vague instinct de l’avenir, et le vain empressement pour une dignité qui n’était qu’une apparence, dans la résolution qu’il prit le 9 août 1807, en déposant le portefeuille des relations extérieures entre les mains du duc de Cadore, pour devenir grand dignitaire de l’empire, étant déjà grand chambellan et prince de Bénévent.

Son éloignement fut regrettable pour l’empereur. Le grand esprit de Napoléon et le bon sens de M. de Talleyrand semblaient faits l’un pour l’autre. Ce qu’il y avait d’inventif, de fécond, de hardi, d’impétueux, dans le premier avait besoin de ce qu’il y avait de net, de froid, d’avisé, de sûr, dans le second. L’un avait le génie de l’action, l’autre celui du conseil. L’un projetait tout ce qu’il y avait de grand, l’autre évitait tout ce qu’il y avait de dangereux, et la fougue créatrice de l’un pouvait être heureusement tempérée par la lenteur circonspecte de l’autre. M. de Talleyrand savait faire perdre du temps à l’empereur lorsque sa colère ou sa passion l’auraient poussé à des mesures précipitées, et lui donnait le moyen de se montrer plus habile en devenant plus calme. Aussi, disait-il avec une exagération spirituelle dans la forme, mais non sans vérité, « l’empereur a été compromis le jour où il a pu faire un quart d’heure plus tôt ce que j’obtenais qu’il fît un quart d’heure plus tard. » La perte d’un pareil conseiller dut être un malheur pour lui en attendant qu’elle devînt un danger.

Toutefois, ils se séparèrent sans se brouiller encore ; et même, un an après, lors de cette fameuse entrevue d’Erfurt entre l’empereur Napoléon et l’empereur Alexandre, dans laquelle celui-ci abandonna l’Espagne à l’autre qui lui céda en retour la Moldavie et la Valachie, et où tous deux convinrent de combattre en commun l’Angleterre, si elle ne consentait pas à la paix, et l’Autriche, si elle ne demeurait pas soumise, ce fut M. de Talleyrand qui, en qualité de grand chambellan, fit les honneurs de la cour impériale au peuple de rois et de princes souverains qui formaient la suite des deux arbitres du monde. Au milieu de ces fêtes splendides qui couvraient de si impor-