Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/461

Cette page a été validée par deux contributeurs.
457
LE PRINCE DE TALLEYRAND.

supplie votre majesté de relire le projet que j’eus l’honneur de lui adresser de Strasbourg. J’ose, aujourd’hui plus que jamais, le regarder comme le meilleur et le plus salutaire. Vos victoires le rendent facile, et je serai heureux si vous m’autorisez à faire un arrangement qui, j’en ai la conviction, assurerait la paix du continent pour plus d’un siècle. »

Ce plan, exécutable à une époque où rien n’était impossible, aurait sans doute préparé un autre avenir à l’Europe, en donnant à l’Autriche un vaste territoire, du côté même où il importait le plus de la jeter et de l’agrandir ; en la rendant homogène, ce qu’elle n’était pas ; en l’intéressant à la civilisation du monde, au lieu de la laisser immobile dans un passé qu’elle s’usait à défendre. Ce plan aurait fondé une paix durable par des combinaisons nouvelles et sur des intérêts satisfaits. Mais il ne fut point agréé par l’empereur. Napoléon procéda comme il l’avait fait jusqu’alors, sans gagner le vaincu et sans le détruire. Il se contenta de se renforcer et de l’affaiblir. Il abolit le saint empire romain, qui existait depuis Charlemagne, et il forma la confédération du Rhin, dont il se fit le protecteur. Il agrandit les états secondaires de l’Allemagne, qui se trouvaient dans son alliance naturelle, et en érigea plusieurs en royaumes. Il y étendit le principe de la révolution, en y supprimant les souverainetés féodales de la noblesse immédiate, comme il y avait supprimé, trois ans auparavant, les souverainetés ecclésiastiques. Il réduisit l’Autriche, à laquelle il ôta ce qu’elle possédait encore en Italie, sans lui accorder ce qui pouvait la dédommager sur le Danube, et il l’abattit sans la dompter. Tels furent les résultats de la bataille d’Austerlitz et du traité de Presbourg. L’empereur, en adoptant un système politique fondé sur de simples affaiblissemens de territoire, ne fit que créer des mécontens ; il se condamnait à toujours combattre ceux qu’il ne pourrait pas toujours soumettre. Les trêves qu’il signa ne furent, en quelque sorte, que les haltes d’un conquérant en Europe, et marquèrent les étapes de sa grande armée.

Le désaccord des vues sur ce point entre Napoléon et M. de Talleyrand n’empêcha pas celui-ci de rester son ministre jusqu’après le traité de Tilsitt, qui, conclu à la suite des victoires d’Iéna, d’Eylau, de Friedland, amoindrit la Prusse, soumit la Russie, étendit la confédération du Rhin du midi au nord de l’Allemagne, et porta à son comble la grandeur de l’empire et la gloire de l’empereur. Mais à cette éblouissante époque, et au moment de ses prospérités les plus