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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

principe équitable du rachat. Membre du comité des contributions, il coopéra au savant et ingénieux mécanisme qui, appliquant le dogme de l’égalité aux biens comme aux personnes, fonda le système actuel des impôts publics. Dans ce système dont j’ai déjà eu occasion de parler avec quelque étendue, en retraçant la vie d’un autre membre de cette académie[1], toutes les richesses étaient atteintes d’une manière prévoyante et mesurée. M. de Talleyrand eut la mission d’organiser la partie du revenu public assise sur les actes de la vie civile et économique ; il présenta la loi de l’enregistrement qui subsiste dans ses principales bases depuis bientôt un demi-siècle à peu près telle que la décréta l’assemblée constituante, et qui a été l’une des ressources les plus fécondes de l’état et dès-lors l’un de ses plus sûrs moyens de grandeur.

Mais M. de Talleyrand se distingua pour le moins autant comme financier que comme l’un des fondateurs de la constitution et l’un des auteurs du système d’impôts. Il s’était formé aux idées les plus élevées et les plus pratiques sur ces difficiles matières dans le commerce intime de M. Panchaud, l’un des profonds financiers du temps, le fondateur de la caisse d’escompte et de la caisse d’amortissement, cet habile opérateur qui, dans un moment de pénurie, procura six cent millions au trésor public, le seul homme en France, j’emprunte les paroles fortement colorées de Mirabeau, qui sût faire pondre la poule aux œufs d’or sans l’éventrer.

Le désordre des finances avait provoqué la révolution, qui était peu propre à le réparer. Placée entre ses théories politiques et ses besoins pécuniaires, l’assemblée constituante ne pouvait pas réaliser les unes sans aggraver les autres. Tout ce qu’elle accordait à ses idées dérangeait encore plus ses finances, puisque le bouleversement économique qui était la suite des réformes paralysait momentanément la richesse publique. M. de Talleyrand appuya les divers emprunts qui furent proposés par M. Necker. Il recommanda fortement la fidélité envers les créanciers de l’état. Il essaya, dans des discours beaux et savans, de fonder le crédit de la nation, qui offrait, selon son heureuse expression, la plus belle hypothèque de l’univers, sur une caisse d’amortissement qui le facilitât et sur le bon ordre qui le rassurât. Cependant, s’il s’était borné à proposer ces moyens des gouvernemens réguliers, dans un moment de crise sociale où les imaginations ont peu de confiance et les pouvoirs peu de conduite, il aurait faible-

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er  janvier 1838 : article Rœderer.