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LES CÉSARS.

son peuple, comme le sang, circule sans cesse de ses demeures au Forum, du Forum à ses demeures. Le matin, autour des rostres et des basiliques ; à midi, retournant faire la sieste dans ses maisons ; puis, ensuite, à la grande palestre du Champ-de-Mars ; puis au bain, jusqu’à ce que le coucher du soleil le ramène au souper domestique, il va toujours chercher la vie, la pensée et le soleil dans ce magnifique emplacement du Forum et du Champ-de-Mars que l’on peut appeler les parties nobles de Rome. On habite ailleurs, mais c’est là qu’on vit ; à voir le nombre de monumens qui encombrent cette portion de Rome, on juge que les maisons y peuvent à peine trouver une place étroite ; la vie privée en est chassée par la vie publique, les citoyens par la cité, les mortels par les dieux, les hommes d’os et de chair par les hommes de marbre et d’airain, à tel point qu’il a fallu à plusieurs reprises déblayer le Forum du peuple des statues qui l’encombraient. Refoulée en arrière, la vie domestique s’est éloignée le moins qu’elle a pu ; les riches et les nobles ont planté leurs demeures dans le quartier des Carènes, sur la croupe des collines qui dominent le Forum (de là cette locution, descendre au Forum) ; les pauvres, dans les détours fangeux de la Suburra, ou plus en arrière dans les faubourgs au-delà du Pomœrium. Pour en finir, mesurez d’un regard tout le reste de Rome, et comptez, s’il se peut, tout ce qui meurt, tout ce qui vit, tout ce qui pense dans cette ville sans enceinte, foule plus pressée chaque jour, à laquelle César et Auguste ont ouvert deux forum nouveaux. Au loin, les maisons sont éparses et respirent à l’aise ; plus près, c’est à chaque porte du Pomœrium une ville entière qui s’est attachée là comme un essaim d’abeilles, et ces villes des faubourgs, se rencontrant dans leur croissance, ont fini par ne plus former entre elles et avec Rome qu’une immense cité. Mais plus près du centre, les maisons sont l’image d’une foule de peuple qui s’amoncelle, se coudoie, et dont les têtes se serrent et se dressent pour regarder les unes au-dessus des autres. Laissant à peine entre elles de longues ruelles étroites, irrégulières, tortueuses, accumulant leurs étages jusqu’à la hauteur de soixante-dix pieds qu’Auguste leur a fixée, hissées sur leurs assises de ciment, étayées par leurs piles énormes, reposant sur leurs larges murailles de briques, elles semblent encore comme trembler de leur hauteur, et par d’épaisses solives s’appuient les unes sur les autres, s’épaulant avec effort pour ne former qu’une masse unique, qui voit le Forum à ses pieds et le Capitole face à face. Sur les sommités de ses toits règne le niveau des terrasses, sol factice ouvert aux pas de la multitude, et,