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même on pourrait encore, sans être accusé d’injustice, reprocher d’autres fautes à M. Thiers, il n’en serait pas moins vrai que son opposition, chaque jour plus vive, était, de l’aveu de tout le monde, un fait de la plus haute gravité ; que ce fait constituait dans la situation un embarras considérable, et qu’au milieu d’une prospérité réelle, d’une tranquillité profonde, il apparaissait aux esprits éclairés et prévoyans comme le plus grand danger pour l’avenir. Cependant nous sommes prêts à reconnaître que ce sentiment, très généralement répandu, ne produisait pas sur tout le monde le même effet, ne se résolvait pas dans la même conséquence. Si les uns y voyaient une raison de regretter l’éloignement de M. Thiers du pouvoir, et une nécessité plus ou moins prochaine de l’y rappeler, les autres se révoltaient contre cette puissance d’un simple citoyen, et ne cherchaient qu’à échapper, pour ainsi dire à tout prix, aux conclusions qu’il semblait si naturel d’en tirer.

Au reste, rien ne nous semble plus impolitique que cette révolte contre les individualités puissantes et nécessaires, dans un système de gouvernement où la royauté n’agit que par des intermédiaires, faible quand ils sont faibles, forte quand ils sont forts, intéressée autant que le pays même à ce qu’ils soient les meilleurs, les plus intelligens, les plus capables. Les amateurs d’anecdotes savent ou cherchent à savoir quel était, à tel moment donné, le degré d’affection de George III pour l’illustre Pitt : l’histoire et le monde ne connaissent qu’un glorieux règne et un grand ministre. C’est une forme de gouvernement qui n’est incommode que si on ne veut pas la comprendre et si on ne sait pas la manier. Chose remarquable, Guillaume IV est resté dans le cœur des Anglais le roi populaire de la réforme, bien qu’il ait un jour renvoyé, sans trop de cérémonie, son ministère réformiste pour appeler aux affaires M. Peel et le duc de Wellington. Mais quelques mois après, il reprenait, aux applaudissemens de l’Angleterre, lord John Russell et ses collègues, qui avaient mis M. Peel en minorité de sept voix dans une chambre des communes renouvelée. Guillaume IV est mort très populaire. D’ailleurs on n’use que les hommes médiocres ; les autres survivent. Un homme vraiment puissant tire sa force de lui seul. Souvent même il se rend nécessaire dans une monarchie absolue, témoin le cardinal de Richelieu ; à combien plus forte raison sous un régime constitutionnel qui a besoin du libre concours de tant de volontés, et qui donne à un si grand nombre de personnes une importance quelquefois exagérée !

À Dieu ne plaise que nous méconnaissions la valeur et l’importance réelle du maréchal Soult ! mais au moins il nous sera permis de regretter que, dans cette crise, le duc de Dalmatie soit resté au-dessous de sa haute mission. Dans la position que lui avaient faite la confiance des chefs du centre gauche, au mois d’avril 1837, et l’ambassade extraordinaire de Londres, il était tout simple de s’adresser d’abord à lui pour la composition du ministère dont il devait avoir la présidence ; on pouvait espérer, au début de ces négociations, qu’il les conduirait promptement et sans peine à bonne fin. Nous laissons à d’autres le mérite de la sagacité après coup, et nous avouons que, dans le premier moment, il nous a paru convenable de confier cette mission au maréchal