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à des gens d’honneur l’occasion de rendre au pays un grand service, en rassurant par leur accession ceux des hommes d’ordre qui auraient pu trop facilement s’alarmer. Nous ne concevons rien à la tactique pessimiste. Nous ne voyons pas ce que l’on aurait gagné à forcer le ministère centre gauche à s’appuyer exclusivement, pour vivre, sur des alliés plus avancés que lui, tandis qu’il eût été si facile de lui assurer tout d’abord un certain nombre d’adhésions honorables sur les bancs du centre droit, par l’association d’un ou deux hommes appartenant à cette fraction de la chambre. Encourager ces hommes à se tenir en dehors, c’est, quoi qu’on en dise, multiplier les embarras d’une situation qui en est hérissée ; et c’est surtout ce que ne devraient pas faire les journaux essentiellement monarchiques, au milieu des préventions injustes dont l’esprit public est assiégé, préventions qui survivent à toutes les explications de la tribune, et entretenues par les interminables lenteurs de l’enfantement ministériel.

N’est-ce pas M. Guizot qui a dit que l’on ne construisait pas les villes à coups de canon ? Il doit voir maintenant que les coalitions aussi détruisent et ne fondent pas. C’est ce que nous n’avons cessé de répéter depuis quelques mois. Aujourd’hui la leçon est complète. La coalition qui a renversé le ministère du 15 avril, après avoir vainement essayé de se partager le prix de la victoire, s’est divisée avec autant d’éclat qu’elle s’était formée, et désormais ce n’est pas elle qui paraît destinée à constituer le ministère, puisque ni M. Thiers ni M. Guizot, dit-on, n’entreraient dans le cabinet dont on s’occupe aujourd’hui.

À voir les frayeurs inconcevables qu’avait inspirées à certains esprits la seule annonce d’une discussion parlementaire sur la crise ministérielle, on ne croirait vraiment pas que la France est depuis vingt-cinq ans en possession du régime constitutionnel, c’est-à-dire d’un gouvernement qui repose tout entier sur la libre discussion des grands intérêts de l’état, soit à la tribune, soit dans la presse. Mais, heureusement pour l’honneur de nos institutions, dont ces crises si fréquentes et si longues affaiblissent un peu le crédit, cette discussion si délicate a été calme, digne et modérée. Chacun est venu expliquer sans aigreur, sans injustice pour ses adversaires, sans récriminations compromettantes, les motifs de sa conduite, ce qu’il avait fait, ce qu’il avait voulu, ce qu’il persistait à vouloir, et pourquoi il y persistait. Nous regrettons que ce bon exemple n’ait pas profité davantage à une partie de la presse, qui aurait pu y trouver des leçons de convenance et d’équité envers tout le monde. M. Thiers en particulier y a montré comment il fallait parler de la couronne et comment un homme politique pouvait maintenir ses droits à l’égard de la royauté, sans méconnaître ses devoirs. L’homme d’opposition n’y a pas effacé l’homme de gouvernement ; l’orateur libéral n’y a pas rendu le ministre impossible ; le présent n’y a pas rompu avec le passé. On a vu qu’il n’abjurait aucun de ses principes, qu’il ne reniait aucun de ses actes antérieurs, qu’en accordant à la gauche une satisfaction de personnes, il ne lui promettait aucune concession de choses. En un mot, on a retrouvé en lui le président du conseil du 22 février, cherchant à clore un passé irritant, et convaincu de ceci, que ce serait rendre