Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/415

Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

mencé par détruire dans la lyre la poésie de l’infini, et je suis arrivé à la poésie des choses terrestres, tandis que dans mon travail philosophique sur moi-même j’ai procédé au rebours.

méphistophélès.

C’est un tort que vous avez eu. Ce qu’on étouffe avant qu’il soit né n’est jamais bien mort. Les besoins refoulés avant leur développement redemandent la vie impérieusement. C’est ce qui vous est arrivé. Votre vertu vous rendait l’homme le plus malheureux du monde, et, à l’heure qu’il est, en prêchant tous les jours la certitude, vous ne la possédez sur aucun point.

albertus, à part.

Je suis épouvanté de voir cet homme lire en moi de la sorte !

méphistophélès.

Si vous en restez là, vous êtes perdu, mon bon ami. Il faut que vous retourniez à la foi par une forte réaction. Il faut que vous connaissiez les passions, leurs angoisses, leurs périls, leurs fureurs même. Il faut, en un mot, que vous passiez par l’épreuve du feu ; ensuite vous rendrez témoignage de votre foi, car vous aurez connu la vie, et vous ne vous tromperez plus.

albertus.

Vous me donnez un odieux conseil. Croyez-vous donc que l’ame humaine soit assez forte pour résister à une telle épreuve ? C’est tenter Dieu que de s’abandonner au mal de gaieté de cœur. Quiconque essaiera ses forces de la sorte le paiera cher, et perdra, dans l’exercice des mauvais instincts, le sentiment et le désir de l’idéal.

méphistophélès.

Qui vous parle de faire le mal et de cultiver les instincts grossiers ? Vous oubliez que je suis philosophe aussi bien que vous, quoique je ne sois pas patenté. Je ne vous conseille pas de vous avilir, mais de vous retremper. Il est une seule passion, grande dans ses puérilités, généreuse dans ses emportemens, sublime dans ses délires : c’est l’amour. Vous vous êtes trompé quand vous avez cru que votre idéal pouvait absorber toute la flamme déposée dans votre sein. Cette flamme est de deux natures : l’une est pour le ciel, l’autre pour la terre ; et l’une ne peut pas plus dévorer l’autre, que la volonté humaine ne peut étouffer l’une des deux. (Posant sa main sur le bras d’Albertus.) Qui le sait mieux que vous, mon cher philosophe ? Cette flamme terrestre vous consume, et rien n’a pu encore l’éteindre en vous !