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REVUE DES DEUX MONDES.

Hélène souffre, comme son visage est pâle et comme ses bras se tordent avec désespoir autour de la lyre ! malheureuse prêtresse ! J’ai voulu être initié par toi à la poésie de la civilisation. Pythonisse enchaînée au trépied, tu expies dans les tortures ma coupable curiosité ! Hélène ! cesse tes chants, reviens vers nous !…

wilhelm.

Maître, Hanz nous fait signe de ne pas l’appeler. Ravie dans une douloureuse extase, elle oublie que nous l’écoutons. Craignez qu’elle ne s’éveille et que le vertige ne la surprenne.

l’esprit de la lyre.

Fille des hommes, pourquoi te désespérer ainsi ? As-tu donc oublié la Providence ? N’est-ce pas elle qui permet ces choses pour amener, par une dure expérience et une lente expiation, tous les hommes à la connaissance de la vérité et à l’amour de la justice ? Regarde ! il est déjà des hommes pieux et des cœurs vraiment purs. Le crime des uns ne fait-il pas la vertu des autres ? L’iniquité des tyrans ne fait-elle pas ressortir la patience ou l’audace des opprimés ? Vois ! que de dévouemens sublimes, que d’efforts courageux, que de résignations évangéliques ! Vois ces mains fermes et patientes qui s’arment pour la délivrance, tandis que, pour les encourager, les captifs étouffent leurs sanglots derrière les barreaux de la prison ! Vois ces amis qui s’embrassent ; comprends-tu la dernière étreinte de celui qui accompagne l’autre jusqu’au pied de l’échafaud ? Comprends-tu le dernier regard de celui qui place en souriant sa tête sous la hache ?

hélène.

Je vois des vierges qu’on profane, et des enfans qu’on égorge ; je vois des vieillards que l’on suspend au gibet ; je vois une femme que des courtisans traînent dans le lit d’un prince, et qui expire de honte et de désespoir dans ses bras ; je vois l’époux de cette femme qui reçoit de l’or et des honneurs pour garder le silence, et qui baise la main du prince ; je vois une jeune fille que des soldats frappent à coups de verges sur la place publique, pour avoir chanté : Non, la patrie n’est pas perdue ! et qui devient folle ; je vois des enfans qu’on sépare de leur mère, qu’on isole de leur famille, et à qui l’on veut apprendre à maudire le nom de leur père, et à renier l’héroïsme de leur sang ! Je vois des héros qu’on proscrit, des libérateurs dont la tête est mise à prix ; je vois de jeunes martyrs qu’on traîne hors de la prison parce qu’ils n’expirent pas assez vite, et qu’on mène sous les glaces du pôle de peur que leurs derniers soupirs ne percent les