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REVUE DES DEUX MONDES.

sans balustrade, sur cette base étroite, pourra-t-elle résister au vertlige ? misérable que je suis ! C’est moi qui serai cause de sa mort !

wilhelm.

Maître, son délire même la rend inaccessible au vertige. Elle échappera au danger, parce qu’elle n’en a pas conscience. D’ailleurs, voyez ! Hanz est déjà auprès d’elle, derrière la statue. Hanz est vigoureux et intrépide ; il est calme dans les grandes occasions ; il la préservera. Prenez courage, et surtout montrez-vous tranquille.

(Hélène accorde la lyre.)
albertus, à part.

Si elle s’aperçoit de la soustraction des deux cordes, qui sait à quel acte de désespoir elle peut se porter ? Mais non !… elle ne s’en aperçoit pas… Elle rêve, elle s’inspire du spectacle déployé sous ses pieds !

l’esprit de la lyre.

Ô fille des hommes ! vois ce spectacle éblouissant ! Écoute ces harmonies puissantes !

hélène.

Je ne vois rien qu’une mer de poussière embrasée que percent çà et là des masses de toits couleur de plomb et des dômes de cuivre rouge où le soleil darde ses rayons brûlans ! Je n’entends rien qu’une clameur confuse, comme le bourdonnement d’une ruche immense entrecoupé par instans de cris aigus et de plaintes lugubres !

l’esprit.

Ce que tu vois, c’est l’empire de l’homme ; ce que tu entends, c’est le bruissement de la race humaine.

hélène.

Maintenant, je vois et j’entends mieux ! Mes yeux percent ces nuages mouvans et distinguent les mouvemens et les actions des hommes. Mes oreilles s’habituent à cette sourde rumeur, et saisissent les discours et les bruits que fait la race humaine.

l’esprit.

N’est-ce pas un tableau magique et un concert imposant ? Vois quelle est la grandeur et la puissance de l’homme ! Admire ses richesses si chèrement conquises, et les merveilles de son infatigable industrie ! Vois ces temples majestueux qui dressent, comme des géans, leurs têtes superbes sur ces masses innombrables de demeures élégantes ou modestes, accroupies à leurs pieds ! Vois ces coupoles resplendissantes, semblables à des miroirs ardens, ces obélisques