Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/398

Cette page a été validée par deux contributeurs.
394
REVUE DES DEUX MONDES.

timent. Les mêmes cordes que j’ai brisées à cette lyre se sont brisées au fond de mon ame. Depuis hier, l’idée de l’infini s’est voilée en moi : le doute amer a contristé toutes mes pensées, et depuis un instant ma confiance en Dieu s’est évanouie comme ma foi. Il me semblait, pendant qu’Hélène improvisait en regardant la lune, que je pourrais bientôt comprendre les secrets de sa poésie étrange. La nature s’embellissait à mes yeux, et, en même temps qu’une mélancolie profonde s’emparait de moi, j’éprouvais un charme inconnu à savourer ces langueurs d’une contemplation à la fois chaste et voluptueuse auxquelles je n’avais jamais osé me livrer. Oui, je comprenais ce qu’il y a de religieux dans le doute et ce qu’il y a de divin dans la rêverie… Et maintenant ce monde poétique s’est déjà écroulé. Une voix aigre a jeté un cri de malédiction sur la terre épouvantée. La lune ne répand plus sa molle clarté sur les gazons, et les insectes cachés sous l’herbe ne sèment plus leurs petites notes mystérieuses dans le silence solennel de la nuit. La chouette glapit et s’envole vers le cimetière ; le ruisseau traîne de longs sanglots, comme si sa nayade déchirait ses membres délicats sur les cailloux tranchans ; le vent froisse les feuilles avec colère, et sème les fleurs sur le gravier ; les reptiles sifflent, et les ronces se dressent sous mes pieds. Tout pleure, rien ne chante plus ; et il me semble que c’est moi qui ai troublé la paix de cette nuit sereine, en évoquant le désespoir par je ne sais quel maléfice !… mon Dieu ! pourquoi ai-je sacrifié à une vaine sagesse les plus douces impressions de ma vie ? Pourquoi cette âpre résistance, quand une destinée nouvelle pouvait s’ouvrir devant moi ? Que n’ai-je cédé au penchant qui m’entraînait vers la jeunesse, vers la beauté, vers l’amour ? Hélène m’eût aimé peut-être, si, au lieu d’égarer son esprit dans le dédale du raisonnement, je l’eusse laissé s’élever en liberté vers les régions fantastiques où son essor l’entraînait ! Peut-être y avait-il autant de logique dans sa poésie qu’il y en avait dans ma science. Elle m’eût révélé une nouvelle face de la Divinité ; elle m’eût montré l’idéal sous un jour plus brillant… Dieu ne s’est communiqué à moi jusqu’ici qu’à travers le travail, la privation et la douleur ; je l’eusse possédé dans l’extase de la joie… Ils le disent, du moins ; ils le disent tous ! ils se prétendent heureux, tous ces poètes, et leurs larmes sont encore du bonheur, car elles sont versées dans l’ivresse. Notre sérénité leur offre l’image de la mort, et notre existence est à leurs yeux le néant !… Qui donc m’a persuadé que j’étais dans la seule voie agréable au Seigneur ? N’avais-je pas, moi aussi, des facultés pour la poésie ? Pourquoi les ai-je