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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

je consens même à être humilié, pourvu que mon esprit s’éclaire et que je fasse, à mes dépens, un pas vers la connaissance de la vérité.

méphistophélès, éclatant de rire.

La vérité, c’est que vous êtes un grand philosophe, et que vous avez peur du diable.

(Il se montre sous sa véritable forme. Albertus fait un cri et tombe évanoui.)
méphistophélès.

Maintenant, privée de toutes les cordes qui chantent la gloire ou la bonté de son maître, cet Esprit doit être en ma puissance. Tâchons de briser la lyre. Hélène mourra, et Albertus deviendra fou.

(Il veut briser la lyre.)
chœur des esprits célestes.

Arrête, maudit ! Tu ne peux rien sur elle. Dieu protège ce que tu persécutes. En faisant souffrir les justes, tu les rapproches de la perfection.

(Méphistophélès s’envole et disparaît dans la brume de la rivière.)

Scène IV.


ALBERTUS, se ranimant peu à peu.

Quelle affreuse vision ! Ne l’avez-vous pas vue, maître Jonathas ? C’était un spectre hideux. Toutes les souffrances de la perversité semblaient avoir creusé ses joues livides. Un rire amer, triomphe d’une haine implacable, entr’ouvrait ses lèvres glacées ; et dans son regard j’ai vu toutes les fureurs de l’injustice, toutes les ruses de la lâcheté, toute la rage impitoyable d’un désespoir sans ressources ! Quel est cet être infortuné dont l’aspect foudroie et dont le regard déchire ? Dites, Jonathas, le connaissez-vous ?… Mais où donc est le vieux juif ? Je suis seul, seul dans les ténèbres ?… Mes cheveux sont encore dressés sur ma tête !… Ah ! quelle faiblesse s’est donc emparée de moi ? Quelle douleur est tombée sur ma poitrine et l’a brisée, comme un marteau brise le verre ?… (Voyant la lyre à ses pieds.) Ah ! je me souviens ! J’ai porté encore une fois ma main impie sur cette relique sacrée, dépôt d’un ami mourant, héritage d’une fille pieuse. J’ai voulu détruire ce chef-d’œuvre d’un artiste, cet instrument source des seules joies qu’éprouve la triste Hélène. Il y avait dans cette lyre un mystère que j’aurais dû respecter. Mais mon orgueil, jaloux de ne pas comprendre son langage, et les perfides conseils de ce juif malicieux m’ont égaré… Pauvre Hélène ! que te restera-t-il, si tu ne peux chanter ni la force ni la douceur du Tout-Puissant ? Mon crime porte avec lui son châ-