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REVUE DES DEUX MONDES.

naturelle du prodige. Cette lyre serait une sorte d’écho. Sa construction ingénieuse la rendrait propre à reproduire les sons déjà produits par la main qui en ébranle les cordes.

wilhelm.

Ô maître ! vous n’écoutez donc pas ? Les sons produits par la main d’Hélène et ceux qui se produisent ensuite d’eux-mêmes n’ont rien de commun. Ce sont des mélodies toutes différentes ; mais comme elles ne changent ni de ton, ni de mouvement, vous n’appréciez pas la différence continuelle des phrases.

albertus.

Décidément, je suis un barbare.

hélène, jouant de la lyre.

« Peut-être jamais ! » Que ces mots sont effrayans ! Est-il possible qu’on les prononce sans mourir ! Ah ! si l’homme pouvait dire avec certitude jamais ! aussitôt il cesserait de vivre. Peut-être ! voilà donc le thème mélancolique que tu redis incessamment, ô terre infortunée ! Dans tes plus beaux jours de soleil comme dans tes plus douces nuits étoilées, ton chant est une continuelle aspiration vers des biens inconnus. Aussi Dieu a fait bien courte l’existence des êtres que tu engendres ; car le désir est impérieux, et si la vie de l’homme se prolongeait au-delà d’un jour, le désespoir s’emparerait de son ame, et consumerait sa puissance d’immortalité. Ô lune ! à ton aspect la face de la terre se couvre de larmes, et son sein n’exhale que des plaintes ; car ton spectre livide et ta destinée mystérieuse semblent remplir la voûte céleste d’un cri de souffrance et de crainte : Peut-être ! jamais !

hanz, à Albertus.

Maître, vous devenez triste ? Ce chant vous émeut enfin ?

albertus.

Il me fait mal, j’ignore pourquoi.

wilhelm.

Et moi, il me déchire.

l’esprit de la lyre.

Hélène, Hélène, reviens à toi ; chasse ces terreurs inutiles. La nature est belle, la Providence est bonne. Pourquoi toujours aspirer à un monde inaccessible ? Que t’importe demain, si aujourd’hui peut donner le bonheur ? Si tu veux entrer dans la vie immatérielle, apprends la première faculté que tu dois acquérir, la résignation.