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REVUE DES DEUX MONDES.

Pourquoi renonces-tu déjà à m’initier ? Ne saurais-tu me conduire dans cette étoile qui brille là-haut, à cent mille abîmes au-dessus de la lune ? C’est là que je voudrais aller. Mais tu ne veux même pas me conduire dans la plus voisine des planètes !

l’esprit.

Je ne le puis. Je suis lié par les cordes de la lyre, et par l’amour que j’ai conçu pour toi. Fille des hommes, ne me reproche pas la chaîne dont tu m’as chargé. Je ne suis plus un esprit céleste ; je ne sais même plus s’il existe un autre ciel que celui qu’on aperçoit de cette rive, à travers la cime des arbres. Ton sein est mon univers ; uni à toi, je comprends et je goûte les beautés du monde que tu habites. Vois comme cette nuit est sereine, comme les voix de ce monde sont harmonieuses, comme elles se marient au concert des astres, et comme, sans savoir le sens mystérieux de l’hymne qu’elles chantent, elles s’unissent dans un accord sublime à la voix de l’infini.

hélène.

Que parles-tu de l’infini ? Tu ne sais plus la langue de l’infini. Tu ne chantes pas mieux maintenant que l’insecte caché dans l’herbe, ou le roseau balancé par les ondes.

l’esprit.

Hélène, Hélène ! tu promettais de m’aimer, et tu voulais t’anéantir pour me délivrer. Mais tu es bien une fille des hommes. À mesure que l’esprit se soumet et se livre à toi, tu veux pénétrer plus avant dans les mystères de l’esprit, et tu le tortures par les étreintes d’une implacable curiosité. Ô esprits mes frères ! venez vers moi ; venez vers la fille de la Lyre ; instruisez-la, ou rendez-moi la mémoire. Montrez-lui Dieu, ou rendez-moi le prisme qui me servait à le contempler. Secourez-moi. L’hymne funèbre de la lune a engourdi ma flamme. Les cordes de la lyre se sont détendues à l’humidité de la nuit. Les soleils de l’infini brillent là-haut de leur splendeur éternelle, et je les vois à peine à travers les voiles dont la terre est accablée.

les esprits célestes.

Résigne-toi, esprit frère ! il faut que ta destinée s’accomplisse. Une main fatale a commencé à briser tes liens ; mais il faut que toi-même tu sois brisé sur la terre avant de retourner aux cieux, et ta délivrance doit s’opérer par la douleur, l’effroi, l’ignorance, l’oubli, la faiblesse. Telle est la loi éternelle. La terre est un aimant, et ceux qui sont nés d’elle ne peuvent la quitter qu’avec désespoir. La terre est le temple de l’expiation.