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En voyant ces maisons dispersées à travers champs, ces hameaux, ces villages, ces villes qui se succèdent sans interruption, on pourrait croire que nulle partie de la Suède n’est plus peuplée que celle-ci ; mais ces habitations nombreuses ne se trouvent que sur la côte. À vingt ou trente lieues d’ici, la végétation cesse, la ville et le village disparaissent, et le pauvre Lapon conduit son troupeau de rennes dans la plaine déserte. Ici la population est aussi agglomérée que dans les provinces du sud. En la calculant, non point d’après ce district privilégié, mais d’après l’étendue de la Nordbothnie, on ne compte pas plus de quarante-quatre habitans par mille carré.

Après quatre jours de marche, nous arrivâmes à Umea. C’est une ville de quatorze cents ames, située à trois lieues de la mer, au bord du fleuve qui porte son nom. On y trouve plusieurs grandes rues coupées régulièrement, des maisons bien bâties, une école latine et une librairie, la première que nous ayons rencontrée dans tout le Nord depuis Drontheim. Le libraire reçoit tous les ouvrages d’histoire et de littérature en commission. Il n’achète que des livres de prières qu’il relie lui-même et transporte dans les différentes foires des environs.

Cette ville est la résidence du gouverneur, le chef-lieu de la Vestrobothnie, vaste province qui ressemble beaucoup à celle que nous venions de parcourir. Le long de la côte, le sol est plat, bien cultivé et fécond ; mais, à l’ouest, on retrouve les plaines marécageuses et les pâturages arides de la Laponie. La population est plus nombreuse que dans la Nordbothnie. Elle s’élève à peu près à cinquante habitans par mille carré.

Il y avait près d’Umea un écrivain dont je connaissais les œuvres et que je désirais voir. C’était M. Gravstrœm, le poète le plus septentrional qui existe probablement en Suède. Je le trouvai chez le gouverneur, qui, sans s’effrayer de notre triste accoutrement de voyageur, avait bien voulu nous inviter à dîner. C’est un homme jeune encore, qui, après avoir occupé pendant quelques années une chaire de professeur à l’école royale de Carlsberg, est devenu pasteur d’Umea, et pour compléter sa vie poétique, a épousé la fille d’un excellent poète, la fille de Franzen. Il habite un presbytère de campagne, à une lieue de la ville. Après le dîner, il me proposa de m’y conduire, et j’acceptai avec joie. Nous traversâmes, dans une voiture légère, une grande forêt de sapins, une plaine qui venait d’abandonner ses gerbes d’orge aux moissonneurs, puis nous aperçûmes à l’entrée d’un hameau une belle et large maison entourée d’un enclos ; c’était la sienne. Cette demeure est dans une charmante situation : elle est posée au bord d’une colline d’où le regard plane sur un vaste espace. Près de là est l’église, au milieu d’un cimetière, une église gothique du XVe siècle ; remarquable par sa structure simple et élégante. La colline est partagée par un ravin profond que la fonte des neiges a creusé. Au bas est le fleuve dont les grandes lames descendent majestueusement vers la mer. On voit que ce fleuve s’étendait autrefois sur la côte ; mais, comme me le disait M. Gravstrœm, les fleuves du Nord ressemblent aux vieillards dont le corps s’affaisse sous le poids des années. Celui-ci a quitté son ancienne