Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.
369
EXPÉDITION AU SPITZBERG.


Ici, sous un voile de brume,
La cascade bruyante écume.
Là le fleuve paisible et pur
Dans la plaine s’enfuit, s’efface,
Et sur la rive qu’il embrasse
Jette un soupir, un flot d’azur.

Et loin du bruit, et loin du monde,
Gaîment je m’élance sur l’onde,
Heureux de voir dans le lointain
Se dérouler le paysage,
De songer à mon grand voyage,
 De respirer l’air du matin.

Lorsque l’oiseau sous la bruyère
S’élève et chante sa prière,
Je prie aussi, je dis : Mon Dieu !
Laisse-moi demeurer encore
Dans cet abri que l’on ignore,
Sous ton regard, sous ton ciel bleu.

Que la nature soit le temple
Où mon œil ému te contemple !
Que la grande voix du désert,
Le bruit des eaux sur le rivage,
Le chant caché dans le feuillage,
Soient mon cantique et mon concert !

Ces souvenirs des jours tranquilles,
Dans la vaine rumeur des villes,
Un jour je les emporterai.
Si le destin cruel m’oppresse,
Ils me suivront dans ma tristesse,
Et souvent je les bénirai.

Nous étions au confluent des deux fleuves. Le Tornea[1] bondissant, mugissant, courait se précipiter dans le Muonio. À côté, un petit ruisseau, sorti d’une source voisine, suivait paisiblement la même route. En les voyant descendre tous deux dans le même lit, il me semblait voir une image de la vie, et je me disais : C’est ainsi que s’en vont les destinées humaines, les unes hardies et imposantes, les autres obscures et timides. Mais qu’importe le bassin de granit d’où elles s’échappent, ou l’humble sillon qu’elles se creu-

  1. On prononce Torneo, ainsi que Umeo, Piteo, etc. C’est la dernière lettre a qui signifie, comme en Islande, fleuve. En Islande, elle est surmontée d’un accent grave, en Suède, d’un petit ˚.