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Muonio. Mais nous avions été si heureux de faire cette première course, que nous voulûmes la recommencer, à la grande surprise de nos rameurs, qui n’avaient pas l’habitude de voir les voyageurs entreprendre deux fois de suite ce trajet redouté sur toute la côte.

À partir de là, le paysage est plus large et plus varié, les forêts sont plus hautes et les maisons plus nombreuses. Les gîtes où nous nous arrêtons ne sont pas élégans, mais propres, spacieux, et la politesse affectueuse avec laquelle on nous reçoit nous fait oublier toutes les privations matérielles que nous devons y subir. Deux jours après avoir traversé l’Eyanpaïkka, nous nous reposâmes de nos heures de fatigue et de nos heures d’abstinence dans la riante habitation de Kengisbruk. C’est une forge qui date de plus de deux siècles, la forge la plus septentrionale de la Suède. Lorsque nous y arrivâmes, elle venait d’être vendue, et les anciens maîtres l’avaient déjà quittée pour faire place aux nouveaux. Il n’y avait dans la maison du directeur de l’établissement qu’une jeune fille qui nous reçut avec une grace parfaite. Nous trouvâmes là des livres, des journaux, et tout ce qui était pour nous, depuis quelque temps, un luxe inusité : des rideaux de mousseline aux fenêtres, des chaises couvertes en toile de Perse, et un plancher parqueté. Le lendemain nous dîmes adieu à regret à la jeune fille qui nous était apparue comme une fée dans cette demeure abandonnée des hommes. Une forêt de bouleaux s’étendait devant nous, un torrent grondait à nos pieds. Les lueurs argentées d’un beau matin d’automne scintillaient sur les flots et à travers les arbres. Les pointes d’herbes revêtues d’une légère gelée brillaient aux premiers rayons du soleil comme des perles. La mésange de Sibérie (parus Sibericus) au plumage gris, le pinson des Ardennes (montifringilla) aux ailes noires, à la poitrine jaune, au collier brun, et la linotte à la tête tachetée de rouge, gazouillaient leur prière sur les rameaux verts, agités par un vent frais. La fumée montait avec des étincelles de feu au-dessus des fourneaux, et la cloche appelait les ouvriers au travail. Nous nous en allions à pas lents, regardant de tous côtés ce paysage pittoresque, tantôt nous retournant pour voir encore la cime des forges cachées dans le vallon, tantôt nous arrêtant au bord de l’eau. Dans ce moment, cette belle et fraîche matinée du Nord avait une teinte méridionale. Je la contemplais avec un vague sentiment de joie, et je la saluais avec une douce mélancolie ; car tous ces lieux que j’aimais, j’allais bientôt les quitter, et déjà j’essayais de transporter l’émotion du moment dans la rêverie du souvenir :

Sur les coteaux le jour se lève
Frais et riant comme un beau rêve.
Parmi les bouleaux argentés,
Et sur les champs que l’on moissonne,
Les doux rayons d’un ciel d’automne
Répandent de molles clartés.