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LES CÉSARS.

vait-il, en dernier résultat, au suprême remède de la mort volontaire ? Et si, pour maintenir l’ordre du monde que vous ne maintenez pas, il l’interdisait, comment retenait-il l’homme malgré lui dans la société qui a besoin de lui, et dont il n’a pas besoin ?

Cet homme d’abord tira l’épée contre la foi nouvelle ; puis, tout à coup, frappé d’un subit réveil, disciple de cette foi, prosélyte nouveau et suspect, le voilà qui parle à ces Juifs plus haut que personne, qui résiste en face à leur chef, qui les fait entrer comme de force dans la nouveauté de leur propre doctrine, qui leur fait rompre les derniers liens qui les rattachaient à la loi juive, leur fait abjurer ses pratiques devenues sans but, ses symboles accomplis, sa nationalité qui s’ouvre pour recevoir le monde. Il leur fait mieux sentir à eux-mêmes, qui l’ont entendue, la doctrine de leur maître que lui n’entendit pas. Il proclame le Christ la fin de la loi ; il leur fait accomplir sa parole : « On ne recout pas à un vieux vêtement une étoffe nouvelle ; on ne met pas du vin nouveau dans une outre qui a vieilli. »

Les Juifs n’entendent pas ce langage, les Juifs le repoussent, il rejettera les Juifs, le monde lui est ouvert. Né pour presser l’accomplissement des paroles divines, il sait que le maître l’a dit vingt fois : « Ce peuple sera rejeté, son héritage lui sera enlevé, donné à un autre. » — « Que votre sang retombe sur vous, dit Paul aux Juifs, j’en suis pur, je vais aux nations, » et aux autres disciples : « Donnons-nous la main, partageons-nous le monde ; à vous le circoncis, à nous les nations. »

« Aux Juifs d’abord, aux Grecs ensuite. » Il a rempli son devoir envers les Juifs, il portera la parole à la Grèce : la Grèce, qui comprend sous l’empire de sa civilisation l’Orient tout entier, la Grèce est plus digne de l’entendre ; l’antique, l’humaine, la philosophique, la religieuse Athènes, « religieuse, dit-il, jusqu’à l’excès, » ne le repoussera pas, il disputera sous le Portique contre les philosophes ; il remplira de chrétiens l’infâme Corinthe, il couvrira d’églises la Bithynie, la Macédoine, l’Asie mineure, tout ce qui parle la langue d’Homère.

Voilà cet homme ; et cet apôtre qui a bravé la contradiction dans toutes les cités de l’empire, ce citoyen romain qui a parlé si haut devant les magistrats de Rome, cet homme qui, en prison, abandonné des siens, n’a pas tremblé en face de Néron, ce prophète qui a été ravi jusqu’au ciel et y a vu ce que bouche humaine ne peut raconter, d’où tire-t-il sa force, le savez-vous, Sénèque ? Est-ce de