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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

comme ses pères ont fait. Jeune, il s’est réjoui de conduire la charrue à travers les sillons ; vieux, il veut la conduire encore. Il a pour le sol qui lui appartient une sorte d’affection enfantine, et pour ses travaux de laboureur une préférence que nulle déception ne peut affaiblir. L’aspect des pâturages ne lui cause qu’une faible joie ; mais l’aspect d’un champ d’orge où les épis se développent et commencent à jaunir, lui fait battre le cœur et l’enorgueillit ; car c’est là le fruit de ses travaux, de sa patience, de son habileté. Que si alors on tente de lui représenter ses vrais intérêts, il se retranche dans ses souvenirs de jeunesse, dans l’attachement naïf qu’il a pour ses sillons. — Oh ! voyez, disait un jour un paysan finlandais à un prêtre qui cherchait à le détourner de ses fausses spéculations de laboureur ; voyez, la terre est noire. Il me semble qu’elle est couverte d’un voile de deuil, qu’elle souffre, qu’elle a faim. C’est elle qui nous a nourris, mon père et moi. Comment voulez-vous que je l’abandonne, que je la laisse languir quand je peux, avec un sac de semence, la rendre si riante et si belle ?

Ainsi, le pauvre paysan de Nordbothnie continue à suivre le même système. Son champ est pour lui comme une loterie à laquelle il porte chaque année avec un nouvel espoir et une nouvelle résignation le fruit de ses sueurs et de ses épargnes. Souvent il s’endette pour entretenir ce lot rongeur auquel il ne veut pas renoncer. Les années de disette l’accablent ; mais une récolte féconde lui rend toute sa joie et toute son audace. Quand nous arrivâmes à Muonioniska, nous fûmes témoins d’une de ces heureuses émotions. C’était la première fois depuis sept ans que l’orge était vraiment mûre. Cette fois on ne la portait plus au four pour la faire sécher, on la dressait gaiement par faisceaux sur des perches, comme du lin sur des quenouilles. Dans les familles, on commençait à pétrir du pain plus pur, et le laboureur, en comptant ses belles gerbes, regardait d’un air malicieux le marchand qui, cette année, ne pourrait pas bénéficier sur le prix de la semence.

La ressource la plus assurée du Finlandais de Nordbothnie est le produit de ses bestiaux. Quand le paysan est parvenu à amasser quelques centaines de livres de beurre, il les porte en Norvége, où on les paie mieux qu’en Suède. Il voyage avec ses chevaux le long du fleuve qui se couvre de glace au mois d’octobre, et ne dégèle ordinairement que vers le milieu de mai. Au pied des montagnes, il trouve des rennes, des ackia (traîneaux), et des Lapons. Pour cinq francs, il a un attelage qui le conduit jusqu’en Finmark. Il vend son beurre à Alten, à Talvig, à Kaafiord, prend en échange les diverses denrées dont il a besoin et s’en revient. Chaque lispund de beurre vaut à peu près dix francs. Quand le paysan a payé ses frais de voyage, fait sa provision d’eau-de-vie, de tabac, il lui reste encore de quoi acquitter ses impôts, et porter le dimanche quelques skellings à l’offrande. De temps à autre, il peut vendre aussi des peaux, de la viande fumée et du poisson.

Du reste, il mène une vie sobre et économe. Il ne boit que du lait mêlé avec de l’eau, parfois un peu d’eau-de-vie, et ne mange que du pain noir. S’il a