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preuve en leur faveur la variété infinie de nuances pathologiques que présentent les grands centres de civilisation où se pressent tous les âges, tous les sexes, toutes les passions, toutes les professions, toutes les fortunes et toutes les misères. Après tout, à quoi aboutissent toutes ces prétentions ? Cos, la patrie d’Hippocrate, était une ville de deux mille ames ! Et qu’était-ce que Leyde, avant que Boerhaave l’eût rendue célèbre, et eût, de son vivant, augmenté de moitié l’étendue et la population de cette ville ?

Le médecin du Val-de-Grace avait peu d’érudition médicale, du moins la lecture de ses ouvrages nous le donne à penser par la manière légère et superficielle dont il traite les hommes et les idées les plus considérables. Mais ne les recherchant que de son point de vue, ne les étudiant que pour savoir en quoi ils sont favorables ou contraires à sa doctrine, ayant d’ailleurs la faculté de saisir avec rapidité les idées qu’il passe en revue, il les attire avec art dans son domaine, sur le terrain de sa critique, il fait ainsi de peu beaucoup ; il a, si l’on peut s’exprimer de la sorte, une érudition d’intuition ; avec quelques lignes d’un homme, il connaît un homme, et porte toujours un jugement à effet. Le jugement est faux, mais l’effet est produit sur l’esprit du lecteur, et c’est tout ce qu’il demande.

Telle est la nature du talent de Broussais, tel est son caractère d’écrivain. Qu’a-t-il fait de ce talent ? — Ainsi que tous les fondateurs de doctrine, il a renversé avant de bâtir ; il a donc sa partie critique et sa partie dogmatique : c’est sous ce double point de vue, que nous devons le considérer.

Nous sommes de ceux qui le reconnaissent, cet écrivain a une capacité d’intelligence et de logique médicales qui ne nous paraît exister à un aussi haut degré dans aucun des hommes d’aujourd’hui, ni dans aucun de ceux qu’il a eus à combattre et que la médecine a perdus. Il sait où sont les bases de la science, et il les sonde avec audace ; il conçoit l’art médical dans toute sa généralité, en homme fait pour être médecin et pour reculer les bornes de la médecine ; il veut à cet art des lois, et il comprend à merveille que toute espèce de lois ne lui vont pas, et souvent il démontre fort bien que les lois qu’ont essayé de tracer ceux qu’il appelle ironiquement les législateurs sont mauvaises. C’est là, dans cette haute généralité (quelquefois dans le détail, mais beaucoup moins), que sa logique est juste, belle, puissante. Oh ! alors, tant qu’il est dans ce cercle, donnez-lui un adversaire qui ait bien tort, un homme qui ait fondé sa théorie sur des données bien illégitimes, ou qui ait divisé et classifié les