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des traces si lumineuses, qui ont travaillé avec tant de patience et de génie à établir des lois aussi durables que la nature humaine elle-même ! Qu’on analyse, qu’on expérimente, que l’on multiplie les instrumens de l’observation, car tout ce qui peut servir est bon ; mais, pour Dieu ! qu’on garde la pensée et la réflexion. C’est avec son intelligence que l’homme voit l’homme ; ce n’est ni avec la loupe, ni avec la pile, ni avec la balance, ni avec le thermomètre. Servez-vous du microscope, de la pile, de l’arithmétique, de la géométrie, j’y consens ; mais quand vous vous apercevez que ces instrumens, au lieu de vous éclairer, vous aveuglent, au lieu de vous servir vous nuisent, au lieu de vous montrer dans un jour plus vif l’homme que vous devez soulager vous le cachent, de grace, jetez vos instrumens. Vous qui raillez l’antiquité et qui ricanez si agréablement sur des livres que vous n’ouvrez pas, ignorez-vous avec quel respect ces hommes écoutaient la respiration des patiens, contemplaient leur visage, et s’attachaient aux moindres signes de l’expression de la vie ou de l’intelligence, pour vous les transmettre, et vous dire là où vous auriez à craindre, là où vous auriez à espérer ? Avez-vous réfléchi avec quelle patience ils attendaient une crise pour vous dire que dans telle circonstance elle viendrait de ce côté, dans telle autre circonstance de tel autre côté ? Non par l’anatomie, non par la chimie, mais par l’observation et la méditation, et par un désir ardent de soulager les maux qu’ils voyaient, ils vous ont dit ce qu’était l’homme, ou en santé ou en maladie, suivant ses climats, suivant ses âges, ses tempéramens, ses dispositions particulières (acquises ou innées), selon que des affections douces règlent son existence ou que les passions l’agitent, selon que le vent du midi souffle sur lui ou le vent du nord. — Ils ont, dites-vous, laissé des lacunes sur tous les points, ils en ont laissé d’immenses. — C’est vrai : eux-mêmes l’ont déclaré, et ils vous ont averti, après des siècles d’expérience, que la nature humaine était si changeante, et tout si changeant autour d’elle, qu’il ne fallait jamais s’y fier absolument ; et de ce principe sanctionné par leur science et leur bonne foi, ils ont déduit un code de prudence devant lequel il faut s’incliner. Rappelez-vous ce que vous étiez le premier jour que vous avez été mis en présence d’un homme malade, et dites-moi sincèrement si c’est pour l’avoir trouvé ou pour l’avoir appris que vous savez aujourd’hui que telle affection peut marcher ainsi huit, dix, quinze jours sans danger, et que même il y aurait du danger à l’empêcher de marcher ; que celle-ci a commencé comme un mal qui doit tuer au premier moment, ou comme un mal qui doit renouveler