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etc., échappaient à la chimie la plus subtile, la plus hardie, la plus savante ; comment ce quelque chose de mobile, de sensible, de vivant, de pensant, qui est dans l’homme, est au-delà de toutes les tentatives de la chimie ! Et pourtant Bordeu étudiait avec Rouelle qu’il suivait avec un ardent enthousiasme, Rouelle, le Paracelse de ces temps ! Et il s’écriait : « Que l’examen chimique du lait, du sang, de l’urine, et des autres parties et liqueurs animales, puisse conduire les artistes à un grand nombre de découvertes, je me donnerais bien garde de le nier ; et qu’ils soient dans le cas d’expliquer, par leurs ingénieuses manœuvres, bien des vérités susceptibles même de démonstration, et qui puissent faire le fonds d’excellentes dissertations physiques et académiques, le fait est établi par mille épreuves. Mais que cette analyse des humeurs mortes et soumises à des changemens dont la vie animale les met à l’abri plutôt que de les y exposer, puisse donner la clé des phénomènes de la vie animale, et fournir les meilleures indications pour arriver à la résolution de divers problèmes à proposer sur l’animalité, c’est ce que je crois impossible : c’est au moins ce à quoi les chimistes ne sont pas parvenus jusqu’ici. » — Stahl, le plus grand chimiste de son temps, avait dit de la chimie la même chose que Bordeu, et aujourd’hui la même chose se peut dire que du temps de Bordeu. « J’ai vu, dit encore Bordeu, le lait s’épaissir dans une nourrice qui vit tomber son enfant ; le lait reprit son cours et sa consistance dès que l’enfant reprit le téton ; et la mère, agitée par deux ou trois passions différentes, sentait la chaleur, la souplesse et le remontage du lait, à proportion que l’enfant donnait des signes de force et de santé. » Toute la question de la vitalité et de la chimie, et de la nécessaire subordination de la seconde à la première, est dans ce fait et dans les faits de ce genre qui foisonnent.

Quant à l’anatomie, qui, aujourd’hui comme à d’autres époques, voudrait aussi s’emparer de la médecine, et rejeter dans le chaos toutes les observations anciennes, sa prétention n’est pas plus légitime. L’anatomie n’explique pas la nature humaine : elle nous montre le mécanisme du corps de l’homme, elle ne nous donne pas le secret de la vie. Quand les connaissances anatomiques étaient bornées ou difficiles à acquérir, on a pu s’en exagérer la portée : aujourd’hui que chacun peut étudier l’anatomie à son aise, et en dresser un exact inventaire, il est bien facile de déterminer ce qu’elle nous apprend et ce qu’elle ne nous apprend pas sur la nature des maladies, conséquemment sur les indications que peut présenter leur cure. L’homme, selon la notion que s’en formait l’antiquité et que l’on doit s’en for-