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Claude de Seyssel, l’historien de Louis XII et l’infatigable traducteur : il était né à Aix en Savoie. Procédant d’Amyot en style bien plus que de Seyssel, le délicieux écrivain François de Sales, né au château de son nom, résidait à Annecy ; avec son ami le président Antoine Favre, jurisconsulte célèbre et père de l’académicien Vaugelas, il fondait, trente ans juste avant l’Académie française, une académie dite florimontane, où la théologie, les sciences et aussi les lettres étaient représentées : leur voisin Honoré d’Urfé en faisait partie[1]. On avait pris pour riant emblème, et sans doute d’après le choix de l’aimable saint (car cela lui ressemble), un oranger portant fruits et fleurs, avec cette devise : flores fructusque perennes. Mais le vent des Alpes souffla ; l’oranger fleurit peu et bientôt mourut. Pourtant cette seule pensée indique tout un fonds préexistant de culture. Vaugelas, le premier de nos grammairiens corrects et polis, était venu de Savoie en France : Saint-Réal en était et y retourna, écrivain concis, et pour quelques traits profonds, précurseur de Montesquieu. Il n’y eut jamais interruption bien longue dans cette suite littéraire notable, et Ducis se vantait tout haut à Versailles de son sang allobroge ; quand déjà, de par-delà les monts, la voix de Joseph de Maistre allait éclater.

En ce qui est du comte Xavier, le naturel décida tout ; le travail du style fut pour lui peu de chose ; il avait lu nos bons auteurs, mais il ne songea guère aux difficultés de la situation d’écrivain à l’étranger. Il se trouva un contour gracieux, délicat et touchant, sans y avoir visé ; il sut garder et cultiver discrètement sous tous les cieux sa bouture d’olivier ou d’oranger, sans croire que ce fût un arbuste si rare.

Heureux homme, et à envier, dont l’arbuste attique a fleuri, sans avoir besoin en aucun temps de l’engrais des boues de Lutèce ! Loin de nous, en Savoie, en Russie, au ciel de Naples, il semblait s’être conservé exprès pour nous venir offrir, dans sa trop courte visite, à l’âge de près de soixante-seize ans, l’homme le plus moralement semblable à ses ouvrages qui se puisse voir, le seul de nos jours peut-être tout-à-fait semblable et fidèle par l’ame à son passé, naïf, étonné, doucement malin et souriant, bon surtout, reconnaissant et sensible jusqu’aux larmes comme dans la première fraîcheur, un auteur enfin qui ressemble d’autant plus à son livre, qu’il n’a jamais songé à être un auteur.

Il est né à Chambéry, en octobre 1763, d’une très noble famille et

  1. Essai sur l’Universalité de la Langue française, par M. Allou.