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Richelieu et la marquise de Prie rompent en éclatant de rire au nez l’un de l’autre. Le duc, par suite d’un pari, se trouve tenu d’être, la nuit prochaine, à minuit, dans la chambre à coucher de Mlle de Belle-Isle ; la marquise tient contre : y sera-t-il ou n’y sera-t-il pas ? et, lorsqu’il y est, lorsqu’au lieu de Mlle de Belle-Isle, il ne rencontre à tâtons que la marquise, s’en apercevra-t-il ou ne s’en apercevra-t-il pas ? Voilà les questions qui s’agitent, voilà le fond et le nœud, si M. Dumas n’avait aussitôt paré à cette sorte de médiocrité de son sujet en y ajoutant, en y substituant, pour le relever, le pathétique développé des deux rôles de Mlle de Belle-Isle et de son chevalier. C’est un drame accollé à une comédie. L’endroit de la soudure est à la fin du second acte et au commencement du troisième. L’auteur a été habile, il a fait accepter au public sa substitution, dirai-je sa rallonge dramatique : on a pris le change, il a donc eu raison. La réflexion pourtant a droit de faire ses réserves.

Quelques-uns l’ont déjà dit : naturellement et dans la réalité, il est impossible que le duc de Richelieu, lorsqu’à la fin du second acte il se dirige à tâtons vers sa tendre proie, ne s’aperçoive pas presque aussitôt de la méprise et de la ruse. La personne de l’actrice, dans le cas présent, semble choisie exprès pour doubler l’invraisemblance. Mais même, taille à part, les objections ne manqueraient pas. J’en demande bien pardon, mais il y a là une véritable question physiologique au fond de la question littéraire (anguis in herbis) et qui ne fait qu’un avec elle. Il ne laisse pas d’être singulier qu’on en soit venu, sans s’en douter, à ce point que, pour juger de la vraisemblance d’une œuvre dramatique, il faille presque approfondir un cas de médecine légale : je saute dessus ; le public a fait de même. M. Dumas ouvre le troisième acte en nous entraînant.

Si l’invraisemblance n’avait pas eu lieu, si le duc de Richelieu avait reconnu, dès le second pas dans l’ombre, qu’il était mystifié, le troisième acte devenait tout différent, ou plutôt il n’y avait plus de troisième acte, mais seulement une dernière scène comique, un changement de tableau. Le chevalier d’Aubigny arrivait furieux, on lui riait au visage ; Mme de Prie se frottait les mains ; Mlle de Belle-Isle, survenant, ne comprenait rien, et d’Aubigny, rassuré, se gardait bien de l’instruire : il emmenait bien vite sa fiancée. La pièce, dans ces termes-là, n’était plus qu’une spirituelle petite comédie anecdotique, un peu supérieure de proportions et de qualité à l’agréable vaudeville Dieu vous bénisse, du Palais-Royal. M. Dumas n’a pas voulu qu’il en fût ainsi. D’Aubigny arrive ; Mlle de Belle-Isle ignore tout ; ils parlent long-temps sans s’entendre, et, lorsqu’il a expliqué enfin sa colère, elle ne peut l’éclairer d’un mot à cause de ce fatal serment que Mme de Prie lui a fait prêter devant nous dans une formule si rigoureuse. La scène où le duc arrive à son tour et parle sans se douter que le chevalier écoute, est très amusante et parfaite de jeu, quoiqu’elle ramène et promène trop à plaisir l’imagination sur les impossibles erreurs de la nuit. Il part ; le chevalier, sorti de sa cachette, renouvelle les plaintes, les reproches, les instances : mais toujours le fatal serment est là. N’admirez-vous pas l’importance du serment à la scène et le merveilleux res-