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pour obtenir la limite du Saint-Jean (qui est bien en-deçà de la frontière aujourd’hui réclamée par les États-Unis), il est permis de penser que les négociateurs américains n’avaient pas non plus songé à stipuler d’aussi grands avantages pour leur pays. Cependant il faut avouer que les États-Unis ont pour eux, jusqu’à un certain point, la lettre même du traité, tandis que l’Angleterre appelle la raison et l’équité au secours de ses prétentions. Au lieu de chercher par-delà le fleuve Saint-Jean les hautes terres qui doivent marquer la limite septentrionale de l’Union, l’Angleterre soutient qu’il faut rester en-deçà, et indique la colline de Marshill, au nord des sources de la Sainte-Croix, comme la dernière ramification d’une ligne de hauteurs qui répondent suffisamment aux termes du traité ; car leur prolongement au sud-ouest sépare les fleuves qui se jettent dans l’Atlantique, comme la Penobscot, le Kennebec et le Connecticut, de ceux qui se jettent dans le Saint-Laurent. Il est vrai que, pour établir ce système, les Anglais font abstraction du fleuve Saint-Jean et de la rivière Ristigouche, qui ont leur embouchure, l’un dans la baie de Fundy, l’autre dans la baie des Chaleurs, parce que la désignation d’Océan atlantique ne peut s’appliquer à ces deux baies, que les auteurs du traité auraient désignées par leur nom, s’ils en avaient voulu parler. Le roi des Pays-Bas a donné raison aux Anglais sur ce point, qui est de la plus grande importance pour l’interprétation du traité. Mais en dépit de sa décision, très longuement et très ingénieusement motivée, j’ai peine à concevoir que la baie de Fundy, formée par un des replis de l’Atlantique, ne soit pas à peu près la même chose que l’Atlantique elle-même et ne puisse être désignée sous cette dénomination générale.

Je crains bien, monsieur, que ces détails topographiques ne vous aient paru un peu arides ; mais il était impossible de les omettre, car c’est au fond toute la question. Je rentre avec plaisir dans l’histoire.

Plusieurs fois, depuis 1783, l’Angleterre et les États-Unis ont essayé de fixer positivement leurs frontières, conformément au traité de Paris. Vaine tentative ! On réglait péniblement quelques points secondaires ; sur le point essentiel, on ne parvenait pas à s’entendre. Après la guerre de 1812, terminée par le traité de Gand, des commissaires explorateurs furent envoyés sur le terrain par les deux gouvernemens. M. Joseph Bouchette, de Québec, directeur de toutes les opérations cadastrales du Canada (surveyor-general), et auquel on doit le meilleur ouvrage que je connaisse sur les possessions anglaises de l’Amérique du Nord, faisait partie de cette commission. D’admirables travaux furent entrepris, quelques-uns même furent achevés ; mais la question ne fut pas résolue. Les commissaires firent leurs rapports à leurs gouvernemens, et l’on ne s’entendit pas plus que par le passé. La difficulté restait entière. Quel parti prendre ? On déféra le jugement de la contestation à l’arbitrage d’un souverain ami, et ce fut le roi des Pays-Bas qui se chargea de cette tâche épineuse. On lui remit de part et d’autre toutes les pièces du procès, et on lui demanda de déclarer quelles étaient, à son sens, les hautes terres dont les rédacteurs du traité de 1783 avaient entendu parler. Le roi