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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’incertaine et mal établie et n’y avait pas jeté ces racines profondes qu’on retrouve encore aujourd’hui dans le Bas-Canada. Quand l’Angleterre a reconnu, par le traité de 1783, l’indépendance des États-Unis, la frontière nord-est de l’Union a été fixée ainsi qu’il suit :

« …… À partir de l’angle nord-ouest de la Nouvelle-Écosse[1], c’est-à-dire l’angle qui est formé par une ligne tirée dans la direction du nord, de la source de la rivière Sainte-Croix aux hautes terres ; puis, en suivant la ligne de faîte de ces hautes terres qui séparent les eaux qui s’écoulent dans la rivière Saint-Laurent de celles qui tombent dans l’océan atlantique, jusqu’à celle des sources du Connecticut qui est située le plus au nord-ouest… » Cet article, assez clair en apparence, ne l’était pas en réalité à l’époque où le traité fut conclu, et ne l’est pas davantage aujourd’hui. La situation de l’angle nord-ouest de la Nouvelle-Écosse était problématique ; on ne savait pas encore au juste quelle était la vraie rivière Sainte-Croix, et, à plus forte raison, où il fallait fixer sa source ; et dès qu’on voulut mettre le traité à exécution, on vit que les deux parties contractantes ne s’entendaient pas sur le point de savoir quelles étaient ces hautes terres, qui devaient séparer le bassin du Saint-Laurent du bassin des affluens de l’Atlantique. Cependant, au milieu de ces incertitudes, chaque gouvernement se forma une opinion. Les États-Unis, en établissant leur ligne de démarcation sur la carte, à partir de la source de la Sainte-Croix, dans la direction du nord, lui firent traverser le fleuve Saint-Jean, dont le cours supérieur leur aurait ainsi appartenu, et la firent aboutir à quarante-un milles du Saint-Laurent, vers le quarante-huitième degré de latitude nord. C’était là seulement, disaient-ils, qu’on pouvait trouver les montagnes ou hautes terres voulues par le traité de 1783. Tout le pays à l’ouest de cette ligne, en suivant la crête des montagnes dans la même direction jusqu’à la source du Connecticut, aurait donc été compris dans les limites du territoire de l’Union. Mais en traversant ainsi du sud au nord presque toute l’étendue de la vaste péninsule formée par l’Océan, le golfe du Saint-Laurent et le fleuve du même nom, cette ligne de frontières aurait interrompu toute communication entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse d’une part, et le Canada de l’autre, entre Halifax, une des plus grandes positions maritimes de l’Angleterre, et Quebec, sa grande forteresse dans l’Amérique du Nord, entre les riches établissemens de la Baie-de-Fundy et ce beau fleuve Saint-Laurent, qui est à lui seul toute la vie du Canada. Quoique toutes ces possessions anglaises n’eussent pas, à beaucoup près, en 1783, l’importance qu’elles ont acquise depuis, il est impossible de supposer que les négociateurs anglais du traité de Paris aient cru faire de pareils sacrifices en signant l’article 2 ; et comme on trouve dans les journaux secrets du congrès américain, qu’il fut jugé inutile de continuer la guerre

  1. Le pays maintenant divisé en deux provinces, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, était alors compris tout entier sous la première dénomination ; mais, d’après la division actuelle, le territoire contesté appartiendrait exclusivement au Nouveau-Brunswick, si l’Angleterre parvenait à faire triompher ses prétentions.