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a interposé dans la trame de son récit des idylles et des élégies qui sont quelquefois bonnes en elles-mêmes, mais qui pourraient disparaître sans laisser aucun regret. Ces morceaux, traités généralement avec une grande délicatesse, distraient l’attention, et troubleraient l’unité du poème, si l’auteur n’avait pris le soin de placer les idylles en forme de description, et les élégies en forme d’exorde. Mais quelle que soit l’habileté avec laquelle ces morceaux sont placés, je ne balance pas à les blâmer ; car ils ralentissent le récit, et paraissent entamer la réalité des personnages. En voyant l’auteur se détourner pour chanter une idylle, s’arrêter pour soupirer une élégie, on est tenté de se demander s’il croit encore aux acteurs qu’il abandonne si facilement, s’il a vraiment assisté aux souffrances qu’il raconte. Or, la croyance, une fois ébranlée, a grand’peine à se raffermir ; une fois conquise, on ne saurait l’entretenir avec trop de vigilance.

Quant au style de Marianna, il se distingue généralement par l’élégance et la pureté. Outre la correction littérale qui relève de la grammaire, il possède presque toujours une correction plus rare qui relève de l’analogie. Mais M. Sandeau, justement préoccupé de l’importance de l’analogie, s’est quelquefois laissé aller au plaisir de montrer qu’il sait tout ce qu’elle vaut. Quand il s’empare d’une image, il ne la quitte pas toujours à temps. Après l’avoir employée utilement à l’explication de sa pensée, il lui arrive de la garder quand elle ne peut plus lui rendre aucun service. C’est ce que j’appellerai le côté puéril de l’analogie ; car, si la violation de l’analogie obscurcit la pensée, s’il est nécessaire de suivre les contours et les faces diverses d’une image aussi soigneusement que les faces diverses d’une vérité mathématique, l’image devient inutile, dès que la pensée est complètement éclairée. La retenir et lui prescrire de nouvelles évolutions lorsqu’elle a rempli sa tâche, c’est diminuer la valeur de la pensée en exagérant la valeur des mots. Le style, ainsi conçu, ne sert plus de vêtement à l’idée ; c’est une étoffe qui attend une main savante et qui ne dessine rien.

Malgré ces réserves, Marianna est un beau livre plein d’intérêt et de vérité, dont le succès, déjà populaire, ne peut manquer de grandir encore ; et si j’en ai discuté la valeur, c’est que je crois à sa durée.


Gustave Planche.