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REVUE LITTÉRAIRE.

Mais je crois devoir blâmer d’une façon absolue les menaces de mort proférées par Henri, lorsque Marianna se décide à le quitter. Une pareille menace, loin d’ajouter à l’émotion, diminue la pitié qu’inspirait Henri. Si Marianna était infidèle, si Henri se voyait trahi, le meurtre se comprendrait ; mais répondre à l’abandon par une menace de mort, c’est une extravagance qui n’a rien d’attendrissant.

L’intervention de George Bussy à l’heure où Marianna, désabusée, hésite encore à quitter Henri, ne me paraît pas pouvoir être avouée par le goût. Je trouve dans cette intervention un double inconvénient. En premier lieu, cette prophétie vivante, qui arrive à point nommé pour que les acteurs obéissent au programme, donne au récit quelque chose d’artificiel et rappelle maladroitement la phrase qui termine toutes les fables d’Ésope. Marianna, pour devenir cruelle, n’a pas besoin des conseils de George. L’amour qu’elle subit sans pouvoir y répondre parle assez haut pour la décider. En second lieu, il ne convient pas de placer Marianna entre ses deux amans. Un pareil rapprochement n’est pas invraisemblable, mais il ne peut manquer de blesser le lecteur le moins prude. Si le monde offre de tels rapprochemens, s’il y a des femmes assez adroites pour peupler leur salon des oublis de leur cœur, la poésie doit omettre cette face de la réalité.

Le départ de Marianna, ses courses furtives dans les environs de Blanfort, son entrevue avec Noëmi, et la scène où M. de Belnave lui pardonne sans s’humilier, et lui permet de rester près de lui sans la rappeler, forment assurément les plus belles pages du livre. Il y a dans ces derniers chapitres une fermeté de style, un enchaînement d’idées qui ne permettent pas à l’attention de broncher un seul instant. L’auteur a su associer habilement à l’analyse des sentimens qui agitent Marianna la peinture du paysage. L’action réciproque de l’ame sur la nature et de la nature sur l’ame a fourni à M. Sandeau plusieurs traits d’une véritable éloquence. Tantôt le paysage encadre la pensée, tantôt la pensée éclaire le paysage, et cette alliance du monde intérieur et du monde extérieur n’a jamais rien d’artificiel. Privée de Marianna, la campagne décrite par M. Sandeau n’aurait plus le même sens, et Marianna, autrement encadrée, ne produirait pas la même émotion. L’auteur a très bien rendu l’humilité fière de Marianna et la dignité indulgente de M. de Belnave. J’accepte sans répugnance le suicide de Henri, qui sert de dénouement, car il fallait que Marianna eût un remords en même temps qu’un repentir ; il fallait qu’elle regrettât le bonheur que lui avait offert M. de Belnave et qu’elle avait méconnu, et qu’elle eût à se reprocher le malheur et la perte de Henri. Mais je voudrais que Henri, une fois résolu à ne pas chercher dans un nouvel amour une consolation passagère, terminât sa vie loin de Marianna. Un suicide dans le parc de Blanfort a quelque chose de théâtral, et ne s’accorde pas avec la simplicité générale du livre.

Il me reste deux reproches à formuler, et j’hésite d’autant moins à le faire, que j’ai pu louer sincèrement la plus grande partie de Marianna. M. Sandeau