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SALON DE 1839.

un peu de mollesse dans l’exécution ; et si par les couleurs rompues de toutes les draperies, l’artiste arrive à un résultat harmonieux, doux à l’œil, on n’en regrette pas moins un effet plus puissant et plus fort. M. Decaisne me semble redouter les tons francs et purs : en étudiant les coloristes, il verra tout le parti qu’ils en ont tiré. — Le Giotto dessinant ses moutons, no 497, est une bonne étude, et le visage du jeune berger a de la grace et de l’originalité.

Le portrait de M. de Lamartine, no 498, confirme la remarque de Goldsmith, que tout poète aime les chiens. Deux jolies levrettes, fort bien dessinées, se jouent autour de l’auteur des Méditations. Ce portrait, agréable de coloris, manque un peu de vigueur, comme le tableau de la Charité. Je regrette de ne pouvoir juger de la ressemblance, mais le talent de M. Decaisne en garantit l’exactitude. On trouve de la raideur dans la pose de M. de Lamartine, et son regard sévère et fixe a une expression de commandement bien différente de celle que lui supposeraient ceux qui, comme moi, ne le connaissent que par ses ouvrages. Probablement, cette expression est la plus ordinaire à M. de Lamartine. Devait-on le représenter ainsi, ou bien dans l’attitude de la méditation ; en un mot, comme un gentilhomme qui se repose dans son parc, ou bien comme un poète qui compose ? Cette dernière donnée choquerait peut-être ses contemporains ; mais, pour la génération qui viendra, M. de Lamartine ne sera que le symbole de ses ouvrages. Elle demandera le poète. Comme c’est une question fort grave et de solution difficile, M. Decaisne a probablement bien fait de se décider pour le parti de la réalité.

Quelques qualités portées au plus haut degré, absence totale de quelques autres, tel est le mélange singulier de bien et de mal que présente le portrait d’une jeune personne habillée de rose, no 20, peint par M. Amaury Duval. On conçoit difficilement un dessin plus correct, plus scrupuleux, une exécution plus fine et plus consciencieuse ; mais le parti qu’il a adopté, son système de peinture, je ne puis le comprendre. Je ne parlerai de la pose que pour faire remarquer que probablement il eût été plus avantageux, pour le modèle, d’être vu moins de face. Cette critique est peu de chose. — M. A. Duval, non content de jeter sur toute la figure une vive lumière, lui donne encore un fond blanc tout uni. — Le teint de son modèle est très beau, et il en détruit l’éclat à plaisir en lui opposant une étoffe d’un rose éblouissant. Cela ressemble à une peinture chinoise, tant les contours sont secs et découpés, tant les couleurs se heurtent et se le disputent