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quand même la foule les aurait désertées. On n’y sent pas assez la verve et beaucoup trop la prétention ; tout est uniformément soigné et léché, pour me servir de ce terme vulgaire, mais énergique. La scène, d’ailleurs, n’est point prise sur la nature. J’ai toujours vu sortir du bal des masques ennuyés, accablés de fatigue, avviliti, comme disent les Italiens ; querelleurs en entrant, ils n’ont plus assez d’énergie pour la dispute quand le jour paraît. M. Biard peint plus agréablement, peut-être mieux que notre Hogarth, mais il n’a ni son talent d’observation, ni son naturel exquis. Il dépasse le comique pour tomber dans la charge, qui n’est pas du ressort de la peinture, car une charge ne veut pas être terminée. On doit avoir honte d’y passer trop de temps. Une charge soigneusement peinte comme celle-là, c’est un calembour travaillé.

Mêmes défauts dans la Poste aux Lettres, no 169. Où M. Biard a-t-il vu des femmes de chambre entr’ouvrir publiquement les lettres de leurs maîtresses ? des amantes serrer sur leur cœur les billets de l’ami absent, et tout cela dans la rue ? Je passe rapidement devant un troisième tableau du même genre, le Dîner interrompu, no 166, où il y a pourtant de biens drôles d’abbés qui, conviés par un collègue, perdent l’appétit à la vue d’une souris qu’on retire de la soupière. J’ai hâte d’arriver à des œuvres plus sérieuses de M. Biard, et sur lesquelles on puisse juger son talent. L’Exorcisme de Charles VI, no 165, est conçu d’une manière trop théâtrale. Sans doute il y a de l’expression dans les traits du malheureux roi, mais cette expression est la grimace d’un acteur de mélodrame, et non l’hallucination d’un fou. Je voudrais moins de contorsions et plus de maladie sur son visage. Les têtes des deux moines sont meilleures et bien colorées.

Si j’avais l’honneur d’être antiquaire, je louerais l’exactitude des accessoires et de tous les détails de l’ameublement ; mais, trop précieusement touchés, finis à l’excès, ils prennent une importance qui nuit à l’effet des figures principales. Un peintre doit savoir souvent sacrifier les détails qu’il a le mieux rendus, afin de faire valoir les parties capitales de son tableau.

Peut-être m’a-t-on trouvé sévère à l’égard d’un artiste chéri du public. Je ne serai que juste en donnant de grands éloges à une scène de naufrage dans les mers du Nord, où M. Biard a représenté des Pêcheurs attaqués par des ours blancs, no 167. Le mouvement du jeune mousse, qui d’une main écarte son père déjà blessé, tandis que de l’autre il plonge son couteau dans la gueule d’un de ces terribles animaux, me paraît d’une énergie et d’une vérité admirables. N’y