de belle expression dans ses développemens. Le chœur des fées, qui survient au milieu, est surtout d’un effet ravissant. M. Auber a presque toujours, dans ses opéras, quelque idée qu’il affectionne et ramène souvent. Ainsi, le motif de Fenella dans la Muette, l’air du bal dans Gustave, le chœur des fées dans la partition nouvelle. Ces idées mélodieuses servent d’enchaînement aux situations dramatiques ; un acte les transmet à l’autre, et la monotonie ne se laisse jamais sentir, grace à la variété vraiment curieuse avec laquelle elles se reproduisent. Dans la scène de folie, au quatrième acte, on rencontre de magnifiques élans, les transitions se succèdent, et chacune amène quelque phrase véhémente, joyeuse, mélancolique ; le hurra de malédiction qu’Albert jette à la face des seigneurs ivres qui insultent à sa démence, est d’une expression admirable, et qui touche de bien près au sublime.
Maintenant, si vous me demandez pourquoi cette musique, où se rencontrent des beautés incontestables, vous laisse dans une telle indifférence, je vous dirai tout simplement qu’elle n’est pas à sa place. Sa réalité ne saurait convenir à cette imagination éthérée et merveilleuse venue d’Allemagne, vous le savez. Il y a des sujets auxquels la poésie seule peut toucher. Or, la poésie n’est guère le fait de M. Auber. La pièce se joue dans les nuages, dans le bleu, comme nous disons, et la musique, hélas ! rase la terre. La fée qui a vraiment perdu son voile dans cet opéra, c’est la Musique, car la musique a, de même que Zéïla, un voile merveilleux par lequel elle se transfigure et qu’on appelle la poésie. Quand Mozart, Beethoven, Weber ou Rossini lui posent ce voile sur le front, elle monte glorieuse et d’un libre essor vers le ciel ; mais aussi, quand M. Auber l’en dépouille, elle devient femme, d’immortelle qu’elle était, et ne sait plus que sourire avec grace et fredonner quelque charmant refrain. N’oublions pas que c’est avec une semblable idée que Weber a fait Oberon, ce chef-d’œuvre d’imagination vaporeuse, cette révélation inouie de la musique des elfes et des ondines. M. Auber se garde bien, lui, de vouloir approfondir de pareils secrets. Ses fées sont d’agréables personnes qui portent des voiles lamés d’or et d’argent, chantent de frais motifs et n’ont rien à nous dire de l’air et des étoiles. Zéïla pourrait tout aussi bien s’appeler Angèle comme dans le Domino noir, Henriette comme dans l’Ambassadrice ou la Fiancée, ou Thérésine comme dans le Philtre. Rien ne la distingue des autres créations du maître, elle vit de la même vie réelle, et n’a pas dans ses veines une goutte de sang éthéré. Le fantastique, si quelque poésie ne le relève pas en l’attachant aux grands mystères de la nature, n’est qu’un badinage puéril et mesquin fait pour servir de prétexte à l’art des machinistes, et de pâture à la curiosité des gens désœuvrés. Nos musiciens allemands, du reste, l’ont compris à merveille ; aussi le sentiment de la nature animée, qu’on me passe le mot, le panthéisme déborde de leurs œuvres. Quoi qu’on fasse, le monde des esprits nous appartient, nous seuls savons les évoquer du sein des ténèbres, du sein de la lumière ou des eaux. Gaspard, Oberon, Titania, sont à nous. M. Auber, avec tout son esprit, ou, pour mieux dire, à cause de son esprit, ne comprend rien à tout cela. Il