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l’aient manqué ; mais, si vous aviez à nommer le maître en qui se résume l’école française de ce temps, à coup sûr vous ne citeriez ni Boieldieu, ni Hérold : la gloire du premier s’est laissé absorber par une gloire plus vive, celle de l’autre n’a pas eu le temps de se faire. L’un a trouvé Bellini sur son chemin ; l’autre, la mort. Boieldieu manquait de vie originale et de force ; talent agréable et doué, par momens, d’une certaine expression mélancolique, le centre de sa pensée n’était pas en France. Ainsi de Bellini : le vague instinct qui entraînait vers l’Italie l’auteur de la Dame Blanche, éveillait, dans le cœur du chantre de Norma, le sentiment du génie du Nord. Chacun subissait de la sorte une influence étrangère ; chacun faisait un pas hors de ses limites naturelles, celui-ci vers l’Italie, celui-là vers la France, et dans cette espèce de clair-obscur mélodieux, de crépuscule charmant, où ces deux gloires se sont rencontrées, la plus pâle a dû se fondre en l’autre. Pour Hérold, la mort l’a surpris dans la fleur de l’âge et la plénitude du talent, à l’heure où, libre enfin de l’imitation, dont il faut toujours que la veine s’épanche dans la jeunesse, il allait donner cours à cette inspiration généreuse et féconde dont Zampa et le Pré aux Clercs portent les nobles marques. On le voit donc, M. Auber est le seul représentant légitime de l’école française, bien légitime en vérité ; car, outre que son œuvre est achevée et complète, le génie étranger s’y laisse moins sentir que partout ailleurs, et l’on peut dire de lui qu’il tient de son pays comme de la nature ses qualités et ses défauts. Nous ne prétendons pas ici que M. Auber ait trouvé dans son cerveau les mille trésors dont il dispose ; l’auteur de la Muette et du Lac des Fées a subi, comme tous les maîtres de ce temps, l’irrésistible influence du magnifique et glorieux génie qui a donné le rhythme à notre siècle, mais à un moins haut degré peut-être, et sans négliger de faire ses réserves. Du reste, il faut avouer que, si l’Italie est pour quelque chose dans la gloire de M. Auber, l’Allemagne n’y est pour rien. Et voilà, sans doute, la raison pour laquelle nous l’aimons tant. À Vienne, à Berlin, à Munich, à Dresde, à Weymar, on ne chante, on n’aime, on n’applaudit que la Muette, la Fiancée, Fra Diavolo, le Dieu et la Bayadère. Admirable réponse à vos cerveaux creux, dont toute imagination agréable, mélodieuse et facile, irrite la susceptibilité maladive, et qui, à force de se complaire dans les ténèbres et le chaos, ont fini par vouloir être plus Allemands qu’on ne l’est en Allemagne !

Personne n’ignore quelle profusion vraiment inouie de partitions charmantes M. Auber a mise au jour. Tout le secret de son génie est dans ces motifs qu’il trouve à tout propos si heureusement, et sans que la source en soit jamais tarie. Avec lui, les choses ne se combinent point pour une œuvre ; son inspiration s’éparpille au hasard ; toute idée est motif, et les artifices de l’instrumentation dont il dispose avec tant de finesse et d’esprit ne lui servent guère qu’après coup, et lorsqu’il sent le besoin de donner à ses idées cette filiation naturelle qui leur manque. Les grandes lignes font défaut, mais les détails curieux abondent, et vous avez devant vous une jolie mosaïque,