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MUSICIENS FRANÇAIS.

naître, à moins d’être aveuglé par l’ivresse d’un enthousiasme de novice ou les préventions d’un envieux. L’envie est sœur de l’enthousiasme, comme on sait ; tous les deux naissent du succès. Quoi qu’il en soit, M. Auber appartient à l’école française, il ne le cache pas ; ses opéras le disent assez haut à qui veut l’entendre, et là peut-être est tout le secret de leur adoption unanime. En effet, il y a dans l’art certaines époques d’invasion étrangère, où, pour devenir original entre tous, il suffit de faire la chose la plus simple, d’être de son pays, par exemple. Aujourd’hui qu’on ne trouve plus en France que des Allemands et des Italiens, qu’on ne rencontre çà et là que des gens qui passent leur vie à parodier d’une risible façon Beethoven et Rossini, rester soi le plus qu’on peut, et se tenir loin de la mascarade, c’est, certes, un infaillible moyen de succès. Nous savons que c’est là chez M. Auber tout simplement une affaire de vocation pure et de goût naturel ; mais l’auteur de la Muette et de Gustave agirait-il de la sorte par spéculation et parti pris, l’expédient serait des plus ingénieux. Tandis que toute espèce d’entreprises fantastiques avortent sans retour, lui continue son œuvre plus modeste, chante à sa fantaisie, selon son inspiration, et ne se préoccupe ni de Beethoven, ni de Weber, ni des autres, ce qui ne l’empêche pas d’écrire, çà et là, la Muette, le troisième acte de Gustave, et le quatrième du Lac des Fées. Il est vrai que M. Auber apporte trop souvent dans ses compositions une indifférence blâmable. Ainsi, pour céder à je ne sais quel besoin de produire qui le travaille sans relâche, il lui arrive, la plupart du temps, de donner cours à tout ce qui se présente, et de forcer ses idées à venir avant leur terme. Alors, sa musique, d’ordinaire si vive, si ingénieuse, perd toute sa grace et sa fraîcheur, et la clarté qui lui reste ne sert plus qu’à faire voir la nudité du fond. C’est le propre du génie d’exagérer ses qualités à ses heures d’épuisement ; or des qualités qui s’exagèrent ressemblent bien à des défauts. Ainsi, les cerveaux profonds ont le tort de n’être plus compréhensibles, les autres de le devenir trop. À tout prendre, j’aime mieux M. Auber ; au moins avec lui, je n’ai pas besoin de suer sang et eau pour savoir qu’il n’a rien à me dire, d’autant plus que le cas est assez rare. Il en est de certaines imaginations heureuses comme de ces mines de diamans des contes orientaux : on a beau prendre au hasard, on trouve toujours quelque chose qui rayonne. Du reste, cette musique aimable, qui n’affiche point à tout propos d’arrogantes prétentions au sublime, n’aurait pas en elle tant de qualités charmantes, qu’elle réussirait aujourd’hui par contraste. Au milieu des divagations furieuses où se livrent quelques esprits qui se débattent dans le bruit contre l’indifférence publique, les graces mélodieuses, même un peu relâchées, ne peuvent manquer de plaire à tous. En ce débordement des grands fleuves de l’Allemagne, on aime à suivre, çà et là, le petit ruisseau de Grétry et de Dalayrac.

De nos jours, l’école française a trois noms illustres qu’elle peut mettre en avant avec orgueil, Boieldieu, Hérold, M. Auber. Cependant, de ces trois hommes éminens, un seul me semble avoir atteint le but, non que les autres