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MUSICIENS FRANÇAIS.

nouir en fumée ! Lui, cependant, fait sa petite chanson, et, çà et là, comme le rossignol son compère, trouve dans l’année des heures de printemps et de soleil. Je ne discute pas ici le mérite du genre, seulement je soutiens que c’est là un arbre, ou, si on l’aime mieux, un arbrisseau fort à sa place dans votre pays. Le sol léger de la France contient des sels excellens dont ses racines s’alimentent. L’opéra-comique chôme en France quelquefois, mais n’y meurt jamais ; le succès est toujours au fond du genre : pour l’appeler à la surface, il s’agit d’avoir de l’esprit et du talent et de vouloir s’en donner la peine. Alors le public se souvient, et s’empresse avec autant d’ardeur que par le passé.

La musique d’une nation est tout entière dans ses instincts privés, dans ses goûts familiers, dans ses habitudes du cœur ou de l’esprit. On a beau dire ; les arts s’enchaînent tous, ce sont là les branches mélodieuses, les rameaux trempés de sons et de lumière, d’une tige vivace qui tient au sol par ses racines ; la même sève y féconde tout ; qu’on l’appelle amour, rêverie, esprit, grace, verve ironique, peu importe. Cependant il n’en est pas tout-à-fait de la musique comme de la poésie. Le poète descend par intervalle des sommets de son inspiration pour se mêler d’affaires et de sciences ; il touche aux réalités de la vie politique ; s’il exprime son pays, il résume aussi son époque. La musique, au contraire, s’exhale du sol natal comme une de ces chaudes bouffées de la moisson, et monte vers le ciel plus vague, plus libre, plus indépendante des idées du jour, plus dégagée de ces mille préoccupations du moment que certains esprits, curieux de détails, recherchent avant tout dans l’œuvre des grands poètes, pour les faire servir à leurs commentaires, et qui pour les vrais amans de la Muse sont le signe terrestre et fatal dont la Divinité semble l’avoir marquée au front. La musique exprime en son essence les principaux traits qui caractérisent un peuple. Le musicien est à la fois de son pays et de tous les temps ; le poète, au contraire, tout en conservant sa nationalité inaliénable, n’est que de son époque. Entre tous les grands poètes, Shakspeare me semble le seul qui se soit élevé au-dessus de la question du temps, et, certes, à ce compte, Shakspeare peut passer pour un sublime musicien. Pour la musique, tout se réduit donc simplement à une question de lieu. Pourvu que Beethoven chante en Allemagne, Cimarosa en Italie, qu’importe le siècle où ces divines voix s’élèvent ? Or, franchement, qui oserait dire pareille chose d’Alighieri ou de Gœthe, ces sombres génies sur qui pèse d’avance le travail de l’humanité, et que le pressentiment de l’avenir entraîne et pousse comme la main de Dieu ?

La musique est une blonde déesse trouvée un jour dans le calice de la fleur du sentiment ; le souffle brûlant des révolutions ne l’atteint pas, elle, la fille de l’air insaisissable. Aucune influence humaine n’altère ses charmes immaculés, son innocence fait toute son immortalité, et c’est par ce sentiment, dont la critique n’étouffera jamais le dernier germe dans les choses de l’imagination, que la poésie et la musique d’un même pays se confondent. Dites-moi si la mélodie heureuse et pure, si la phrase trempée de mélancolie et