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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

donc que je ne comprends pas cette langue musicale ? J’ai étudié les règles de la musique avec ardeur depuis deux mois, et cela n’a point éclairci le mystère que je cherche. J’ai trouvé là une arithmétique, rien de plus… Voyons ! la lyre d’Adelsfreit a en effet des cordes de divers métaux : en voici deux en or pur… L’infini !… la foi !… l’intelligence et l’amour !… Voilà les mots dont Hanz et Wilhelm se servent pour exprimer le sens de l’hymne qui s’exhale chaque matin de cette lyre, lorsque Hélène la fait résonner !… Eh bien !… il est un moyen de s’en assurer,… c’est de retrancher ces deux cordes ; et si l’harmonie qu’elle rendra désormais change de nature, si on lui trouve un autre sens, je commencerai à croire qu’il existe une certaine relation entre les sons et les idées… (Il essaie de démonter les deux cordes d’or de la lyre.) Qu’importe à Hélène que la lyre ait sept cordes ou qu’elle n’en ait que cinq ? Ses doigts n’y touchent que rarement… Ô Adelsfreit ! Hélène est-elle l’ame que ton esprit, matérialisé dans cette œuvre de la lyre, doit féconder ? Hélène est une pure et belle improvisatrice ; mais ce n’est point une intelligence supérieure. Elle ignore tout ce qui fait la science de l’homme ; son ame est engourdie dans une sorte d’aliénation douce et permanente ; son improvisation lyrique est un phénomène jusqu’ici inobservé de cet état cataleptique qu’on appelle aujourd’hui magnétique, mot nouveau, obscur et indéfini, comme l’état qu’il désigne… Mais enfin Hélène n’a pu, dans l’inaction où dorment ses facultés, s’élever vers les sommets de la métaphysique, tandis que moi, qui travaille depuis trente ans à agrandir mon intelligence, je ne puis percer le mystère de cette algèbre inconnue… Maudite corde qui se casse ! Quelle horrible plainte est sortie de la lyre !… Tout mon sang s’est glacé dans mes veines. Ah ! mon pauvre esprit est fatigué, et je ne suis pas éloigné peut-être d’avoir des hallucinations… Le cerveau s’épuise plus en une heure à s’abandonner à des chimères, qu’il ne ferait en un an à suivre le fil conducteur de la logique… Aussi, pourquoi vouloir bâtir dans le vide ? Quoi ! la parole humaine, cet attribut divin qui distingue l’homme de la brute, et qui sert à déterminer, à préciser, à classer les idées les plus abstraites, à rendre les propositions les plus ardues aussi claires que la lumière du jour, serait une langue vulgaire, et la cadence du rossignol serait la langue de l’infini ! Maudits paradoxes des artistes et des poètes, vous ne servez qu’à égarer le jugement ! (La seconde corde d’or se brise dans les mains d’Albertus) Encore ! Cette plainte amère me déchire l’ame ! Quelle puissance les émotions nerveuses peuvent exercer sur le cerveau ! Puissance fatale et dangereuse, le