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REVUE DES DEUX MONDES.

le maestro.

Tombez à genoux, valet !

méphistophélès.

Ah ! cette fois, lyre, tu es perdue.

le maestro, il prend la lyre et en tire des sons aigres et discordans.

Voilà qui est étrange. Muette ! muette pour moi comme pour le poète !

le critique.

Vous appelez cela muette ! Plût au ciel ! Vous m’avez fait saigner les oreilles !

le peintre, rentrant avec le poète.

Quelle épouvantable cacophonie ! Ah ! c’est vous, cher maestro, qui nous donnez ce concert diabolique ? Je ne suis plus étonné de ce que je viens de souffrir.

le poète, tenant l’album du peintre entr’ouvert.

Je n’ai jamais éprouvé rien de si désagréable que d’entendre ce grincement affreux, si ce n’est de voir ces monstrueux satyres faisant la nique au masque ignoblement bouffon du Silène placé là entre les deux, au lieu de la ravissante tête de muse qui surmonte la lyre.

le peintre.

Et en disant cela, mon bon ami, vous contemplez avec amour la cocarde de votre chapeau, que vous persistez à prendre pour la lyre d’Orphée.

le maestro.

Les puissances infernales me sont contraires. Je vous invoque, ô esprits du ciel ! venez rendre la vie à cette harmonie captive ; faites qu’elle se ranime sous mes doigts, et qu’au souffle créateur de mon intelligence elle se répande en sons divins.

(Il touche la lyre ; elle répand des sons de plus en plus discordans et insupportables, qu’il n’entend pas.)

le peintre.

Pour l’amour de Dieu, finissez ; vous nous faites grincer les dents.

le poète.

Quels abominables sifflemens ! On dirait d’un combat de chats sur les toits ou d’un sabbat de sorcières sur leurs manches à balais.

le maestro.

Votre folie continue ; j’en suis fâché pour vous. Quant à moi, je puis dire que, si je n’ai pas fait parler la lyre, du moins je ne l’ai pas violée ; car le délire ne s’est pas emparé de moi, et je ne me suis pas imaginé entendre une musique céleste émaner d’un instrument muet.